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fort jeune, s’était trouvé investi de ses fonctions par droit d’hérédité.

Cet homme, Guzman l’avait d’abord reconnu. — Faible et souffrant comme il était, il en frémit encore, et en trembla tout entier.

— « Mon frère, lui dit le bourreau, me pardonnez-vous, afin que Dieu vous pardonne ? »

Un signe de tête affirmatif fut la seule réponse du patient.

Alors l’exécuteur attacha les mains du jeune homme avec une corde qu’il avait apportée, et les serra tellement qu’elles en devinrent violettes. C’est là une nouvelle douleur, calculée sans doute pour ranimer un peu le patient à moitié mort, et raviver en lui le sentiment de toutes ses misères.

Mais les voix des prisonniers s’étaient élevées, et chantaient :

— « Vierge miséricordieuse, prenez pitié de notre frère qui va mourir, et priez votre fils bien aimé de lui pardonner dans l’autre vie. »

Je crus que ce salve annonçait le départ pour le supplice ; mais le moment n’en était pas encore venu. Le bourreau sortit. Le père Antonio nous avait fait signe de le laisser seul avec le condamné. Les frères et moi nous nous retirâmes dans la première chambre de la capilla. Là je demeurai long-temps debout, appuyé au mur, n’écoutant ni ne regardant, réfléchissant à peine, insensible à tout, — stupide.

L’horloge de Santa-Cruz sonna midi. C’était l’heure, — l’heure du départ. Il se fit autour de moi beaucoup de mouvement ; il y eut mille allées et venues dans la capilla. Trois nouveaux capucins aux longues barbes, de nouveaux membres de la confrérie de paz y caridad, étaient arrivés. — On se mit en marche, on sortit de la capilla. Le jeune homme s’avança, soutenu par le frère Pedro et un autre frère. Le père Antonio les précédait, tenant son crucifix dans ses mains jointes. Venaient ensuite les autres capucins et les autres frères. Je les suivis moi-même à la distance de quelques pas. On arriva lentement dans cet ordre au bout du corridor. Là on s’arrêta.

Guzman se trouvait en face d’une fenêtre qui donne sur une