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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/254

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REVUE DES DEUX MONDES.

qui pourrait faire croire à ceux qui l’ont éprouvée qu’il existe dans certains momens et dans certaines organisations un don réel de la double vue, qu’il n’entendit point le bruit que fit en montant la rue du Paon une troupe d’hommes à cheval, qui, un instant après, déboucha à quelques pas de lui sur le rempart à la sûreté duquel il était chargé de veiller.

Celui qui commandait cette ronde nocturne fit signe à sa troupe de s’arrêter, et s’avança seul sur la muraille. Là sa vue chercha de tous côtés la sentinelle qui devait y être, et ses yeux s’arrêtèrent sur Perrinet, qui, dans la même position, continuant le même rêve, n’avait rien distingué de ce qui se passait autour de lui.

Le commandant de la petite troupe marcha alors vers cette ombre immobile et enleva du bout de son épée le bonnet de feutre qui couvrait la tête de Leclerc.

La vision s’évanouit avec la rapidité d’un palais doré qui s’écroule et disparaît sous la secousse d’un tremblement de terre ; une espèce de commotion électrique courut par tout son corps, et, par un mouvement instinctif, il écarta de sa pertuisane l’épée qui le menaçait, en criant : — À moi, les écoliers !

— Tu n’es pas encore bien éveillé, jeune homme, ou tu rêves tout haut, dit le connétable d’Armagnac, tandis que la lame de son épée coupait comme un jonc la lance garnie de fer que Leclerc avait présentée à la visière de son casque, et dont le bout se ficha en terre en tombant.

Leclerc reconnut la voix du gouverneur de Paris, jeta le tronçon qui restait entre ses mains, croisa les bras sur sa poitrine, et attendit avec calme que le connétable fixât la punition qu’il savait avoir méritée.

— Ah ! messieurs les bourgeois, continua le comte d’Armagnac, on vous confie la garde de votre ville, et c’est ainsi que vous vous acquittez de votre devoir ! Holà ! mes maîtres, ajouta-t-il en se retournant vers sa troupe, qui fit un mouvement pour s’approcher de lui, trois hommes de bonne volonté !

Trois hommes sortirent des rangs.

— Que l’un de vous achève la faction de ce drôle, dit-il.