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avez déjà vu… auquel vous aviez la bonté de vous intéresser.

— Qui ? qui donc ?

— Perrinet Leclerc.

— Leclerc, dit la reine, d’où arrive-t-il ?

— De Paris.

— Je veux le voir.

— Lui aussi, madame, voulait vous voir et demandait à vous parler, mais je n’osais…

— Fais-le entrer, te dis-je. Tout de suite ! à l’instant ! Où est-il ?

— Là, dit la jeune fille, et, soulevant la tapisserie, elle appela : Perrinet Leclerc ! Celui-ci s’élança plutôt qu’il n’entra dans l’appartement ; la reine et lui se trouvèrent face à face.

C’était la deuxième fois que le pauvre vendeur de fer allait traiter d’égal à égal avec l’orgueilleuse reine de France ; deux fois malgré la différence de leurs conditions, les mêmes sentimens les amenaient des deux extrémités de l’échelle sociale vis-à-vis l’un de l’autre. Seulement, la première fois c’était l’amour, et la seconde, la vengeance.

— Perrinet ! dit la reine.

— Madame ! répondit celui-ci en la regardant fixement, et sans que le regard de sa souveraine fit baisser le sien.

— Je ne t’ai pas revu, ajouta Isabeau.

— À quoi bon ? Vous m’aviez dit, si on le transportait vivant dans une autre prison, de le suivre jusqu’à la porte ; si l’on déposait son corps dans un tombeau, de l’accompagner jusqu’à la tombe, et mort ou vivant, de revenir vous dire : Il est là ! Reine, ils ont prévu que vous pouviez sauver le prisonnier ou déterrer le cadavre, et ils l’ont jeté vivant et mutilé dans la Seine.

— Pourquoi ne l’as-tu ni sauvé ni vengé, malheureux ?

— J’étais seul, ils étaient six ; deux sont morts. J’ai fait ce que j’ai pu. Aujourd’hui je viens faire davantage.

— Voyons, dit la reine.

— Ah ! le connétable, vous l’exécrez, n’est-ce pas, madame ? Paris, vous voudriez le reprendre ; et à un homme qui vous offrirait à-la-fois de vous livrer Paris, et de vous venger