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le titre d’avocat. Il eut alors une profession ; et comme il avait employé à l’étude de la jurisprudence toutes les hautes facultés de son esprit, on pouvait espérer pour lui d’éclatans et légitimes succès ; mais il ne put triompher du préjugé que sa vie antérieure ne justifiait que trop. Les personnes qui, par leur position sociale, auraient pu hâter et favoriser ses débuts, refusèrent toujours de s’employer pour lui. Personne ne voulut croire qu’un homme d’esprit et de plaisir, habitué aux dissipations et aux dérèglemens de tout genre, pût apporter, dans les affaires sérieuses et dans la discussion des intérêts, une attention suffisante : Fielding n’eut pas une seule cause à plaider. Bientôt de violens accès de goutte, souvenirs amers de sa vie passée, le forcèrent absolument de renoncer à l’exercice de sa profession, et ne tardèrent pas à miner sa santé.

Il eut de nouveau recours au théâtre, et il essaya de faire représenter la suite de sa Vierge démasquée. Mais, comme un des rôles de la pièce tournait en ridicule un homme de qualité, le lord trésorier refusa son autorisation. Fielding fut alors réduit à vivre de pamphlets, de traités éphémères, d’essais de tous genres ; à quelque heure qu’il l’invoquât, sa plume était toujours prête, et l’aidait à soutenir sa famille.

Au milieu de cette vie laborieuse et précaire, il eut le malheur de perdre sa femme, qu’il aimait tendrement. Cette perte inattendue l’affligea si profondément, que ses amis craignirent un instant pour sa raison. Bientôt la nécessité de lutter contre le besoin réussit à le distraire de sa douleur. Il reprit le cours de ses travaux littéraires ; et, vers 1741 ou 1742, il parut comprendre, pour la première fois, sa vraie vocation ; il écrivit son premier roman, et voici dans quelles circonstances :

En 1740, Richardson avait publié Pamela, le plus faible, à coup sûr, de tous ses ouvrages ; ce livre obtint alors un succès éclatant ; non-seulement on le vantait dans le monde comme un modèle achevé de toutes les perfections, mais les ministres le citaient dans la chaire sacrée, comme aujourd’hui le révérend Irving cite les poésies de Wordsworth. Le succès de Pamela donna naissance à l’Histoire de Joseph Andrews, et ce dernier