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DE L’ALLEMAGNE.

sorti de leur sein, et qui leur représente chez eux leurs qualités intimes, l’Allemagne n’y est parvenue que par son opposition au système et à l’home du dehors. Chose triste à dire ! il fallait à l’Allemagne, avec son laisser-aller, avec ses vertus vagues et exubérantes, avec son génie qui déborde au hasard, avec son cosmopolitisme errant, avec son territoire et sa pensée éparpillée ; il lui fallait la main de Napoléon pour la presser, pour la froisser, pour la refouler géométriquement dans les limites de sa personnalité, pour lui apprendre à ses dépens à se circonscrire une fois dans une nationalité organique et vivante. Remarquez que ce monde de la réformation du quinzième siècle a toujours été se déliant, se morcelant, s’éparpillant de plus en plus, jusqu’à ce qu’il se soit rencontré tête baissée avec cet autre monde de la révolution française, pour se rallier et prendre une forme dans le choc. Et l’Allemagne, incertaine et poétique, marchant toujours au hasard dans un cercle magique, n’est venue à se connaître et à sortir décidément de son sommeil, pour ouvrir les yeux au monde réel, que depuis qu’elle s’est heurtée un beau jour contre le poitrail du cheval de l’empereur. Alors elle a commencé à connaître ce qu’elle pouvait valoir ; et parce qu’elle n’a su qui elle était qu’en se mesurant avec lui et sur lui, à présent elle se met à exhausser son ennemi mort, autant qu’elle la rabaissait vivant, et à profiter pour son compte de toute la grandeur qu’elle lui découvre dans sa ruine. Ajoutez qu’elle le remercie tout haut de lui avoir appris à elle, candide et arriérée qu’elle était, à entrer dans les calculs et le savoir-faire du dix-neuvième siècle. Admiration étrange mêlée d’autant d’amour que de haine, systématique et naïve, et qui peint à merveille ce peuple tout entier : sa conscience, sa foi dans l’ordre de l’histoire, ses scrupules à en médire, profond et voulant l’être, cachant une abstraction derrière chaque borne du chemin, se passionnant de reconnaissance pour l’événement qui devait le tuer, et ne pouvant s’accoutumer à ne pas porter aux nues celui qui, en pensant l’écraser, lui a, contre son gré, donné la vie.

La révolution de 1830, par la marche qu’elle a prise, a prêté,