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il faudra qu’il remette un exemplaire au directeur de la libraire. 3o Le premier venu, Tabaraud par exemple, peut former plainte devant un tribunal, et déférer le livre comme un libelle diffamatoire, auquel cas l’édition sera saisie, en attendant jugement. Il n’est pas même bien clair que la saisie ne puisse pas avoir lieu malgré le privilége de nos soixante-six feuilles, sous le prétexte que je remue des questions qui peuvent troubler la tranquillité publique. Ce serait bien pis, si je n’avais qu’un petit pamphlet de quatre cent quatre-vingts pages in-8o : il n’y aurait pas moyen de se tirer d’affaires. Heureux celui qui vit de ses revenus, qui n’éprouve d’autre besoin que celui de digérer et de dormir, et savoure toute vérité dans le pâté de Reims, que nul n’oserait censurer en sa présence. J’ai bien peur que l’heureuse révolution ne se borne à l’échange d’un despotisme fort contre un despotisme faible. Si mes craintes se réalisent, mon parti est pris, et je quitte la France en secouant la poussière de mes pieds. » Le lendemain il écrivait encore au même : « Je regrette bien de ne pouvoir savoir, avant de partir, ce que tu penses du projet, qui me paraît renfermer la plus vexatoire, la plus sotte, la plus impolitique et la plus odieuse de toutes les lois. N’as-tu pas admiré dans le discours de M. de Montesquiou comme quoi les Français ont trop d’esprit pour avoir besoin de dire ce qu’ils pensent ? Quelle ineptie et quelle impudence ! »

En 1815, pendant les cent-jours, M. de La Mennais se réfugia en Angleterre. Jusqu’à l’âge de 27 ans, il n’avait jamais voyagé sauf quelques semaines qu’il passa à Paris vers l’âge de 15 ans : il y avait fait de plus longs séjours dans les dernières années. Parti pour l’Angleterre au dépourvu, il y manqua de ressources, et sans l’aide de l’abbé Caron, également réfugié, avec lequel il lia connaissance il n’aurait pu réussir à entrer comme maître d’étude dans une institution où il se présenta.

C’en est assez, je pense, pour bien marquer le point de départ et la continuité toute logique de la carrière chrétienne de M. de La Mennais, pour expliquer en lui certaines préoccupations qui choquent et le peu de ménagement de quelques sorties. Il n’a