Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

GILBERT.

CHRONIQUE DE L’HÔTEL-DIEU (1780),
PAR M. SAINT-MAURICE.[1]

Je n’ai jamais été d’avis qu’un poète ou un artiste pût fournir un sujet de drame ou de roman. Le Sternbald de Tieck, malgré les belles pages qu’il renferme, la Corinne de madame de Staël, malgré les descriptions de l’Italie plutôt éclatantes que vraies, qui forment un bon tiers de l’ouvrage, le Shakespeare amoureux d’Alexandre Duval, malgré le succès très légitime qu’il a obtenu, grâce à la vivacité brève de l’action, n’ont pas réussi à changer mon opinion. La vie de l’intelligence, prise en soi, ne comporte guère que de belles odes ou d’admirables élégies. Depuis Horace jusqu’à Lamartine, depuis Calimaque jusqu’à Byron, depuis Kalidasi jusqu’à Victor Hugo, il est plusieurs fois arrivé aux poètes éminens de se prendre eux-mêmes comme matière poétique, et par un retour profond de s’étudier, de se donner en spectacle, et d’attirer sur leur âme nue et majestueuse les regards d’une foule ignorante et frivole. Vus de cette sorte, le poète et l’artiste offrent à l’imagination un argument poétique d’un haut intérêt. Mais au-delà de l’ode ou de l’élégie, au-delà du poète mourant, au-delà de l’égoïsme lyrique à qui nous devons les plus belles stances du pèlerinage, je ne crois pas que l’art ou la poésie personnifiée puissent se suffire à eux-mêmes.

La vie réelle n’a rien à faire avec les caprices et les fantaisies d’un cerveau qui prend au sérieux ses moindres pensées, qui se compose à son usage tout un monde de rêveries et de mensonges, qui décompose et analyse, qui transforme et modifie pour son plaisir et pour les besoins de sa volonté les accidens du sommeil et de la veille. Michel Ange ou Milton, pris à l’heure de poésie, et livrés aux héros de la rue ou du salon pour leur tenir tête, n’auront pas d’autre

  1. Chez Denain, rue Vivienne.