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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/414

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et flottant, que l’on aurait presque toujours pu faire tourner du sérieux au plaisant, sans changer une syllabe, comme l’Auberge des Adrets. Ce qu’il a fallu de sentiment profond du vrai et du pathétique, pour sortir de là par des créations sans nombre est très rare et très digne d’éloges et d’estime dans l’examen sérieux de l’art dramatique. D’un autre côté, il est heureux pour ces mêmes acteurs d’être vus de près et, pour ainsi dire, pesés de sang-froid, par un public très sévère sur les détails, qui ne se laisse pas facilement éblouir par des coups violens, de grands bras et de gros cris, mais écoute la prononciation de chaque syllabe et lorgne à la loupe l’expression des plus délicates sensations, retracées par les plus fins mouvemens du visage.

Ceux des acteurs émigrans qui travaillent sérieusement, auront beaucoup à gagner sur cette scène, où d’ailleurs ils sont, matériellement parlant, plus exposés aux regards et plus détachés sur l’avant-scène comme sur un piédestal. Ce que la négligence du public de la Porte-Saint-Martin, qui est beaucoup moins artiste leur aurait pu faire négliger aussi, dans les détails, leur sera imposé par cette nouvelle assemblée. Pour les premiers acteurs, il peut résulter de là une grande perfection, pour tous un heureux progrès. Ils peuvent voir avec quel enthousiasme est reçu tout ce qui est vrai et naturel, quel triomphe de tous les soirs madame Dorval remporte dans les rôles de madame d’Hervey et Marion Delorme, où elle est toujours également belle, car il faut aussi remarquer en elle le don si précieux à la scène, de conserver une inspiration, et une façon de dire un mot, de manière à la reproduire toujours invariablement notée.

Le mélange des deux troupes a été d’autant plus heureux cette fois dans Jeanne Vaubernier, qu’il a donné l’occasion au public, de revoir dans Ferville tout le bon ton d’autrefois, les manières nobles, lentes et pourtant naturelles, l’expression de protection affable et tendre dont Fleury a été le dernier modèle sur la scène.

Au résumé, cette pièce mutilée qui ne fut et ne sera jamais rien par elle-même, toute pleine qu’elle est de gros lieux communs, et de petites sottises, comme la scène que vient faire un mari à Louis xv, ou comme les fanfaronnades éternelles sur la Pologne, quand le silence serait à présent plus décent ; telle qu’elle est, cette bagatelle ne vaut pas qu’on en parle plus sérieusement. C’est un de ces ouvrages qu’on pourrait nommer pièces d’acteurs, qui ne sont guère que des canevas propres à faire ressortir les talens du théâtre. Ce serait, si nous voulions être sévères, une occasion de faire des reproches aux comédiens et aux plus illustres qui, de tout temps ont préféré, par amour-propre, les pièces médiocres qui les font valoir aux dépens de l’auteur, aux bonnes où le contraire arrive. Souvent l’acteur est puni de ce mauvais calcul, mais cette fois, Jeanne Vaubernier a été trop originale, trop amusante, trop piquante, au milieu de tous ses pompons, de ses guirlandes, de ses nœuds, de ses éventails et de ses paniers à ramage, pour ne pas valoir indulgence plénière à tout ce qui l’entoure et à la troupe des auteurs par-dessus le marché.