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allions nous reposer de nos passions civiles. Ces pierres qui nous aimaient nous font injure. Que pas un de nous cette fois ne quitte les cendres de son feu, s’il ne veut pas qu’à une lieue des frontières les passans lui fassent aumône à chaque seuil de leur pitié débonnaire. — « Eh ! messieurs, je vous le jure, mon pays n’est pas mort ; il vit, n’en doutez pas. » Mais eux, leur hospitalité insiste. Plus elle est emmiellée, plus elle devient amère ; je le dis, parce que je l’ai vu. Leur vin est fait de nos plus nobles larmes, et vous ne pouvez descendre dans la rue et secouer vos pieds à votre porte, sans que votre hôte ne dise à son voisin « Or çà, c’est la poussière de la France. »

Vraiment, au reste, nous avons tort de nous étonner de cette condition où l’on mène l’état. L’état se renouvelle : il quitte avec douleur une ancienne dépouille. Tout gémit autour de lui et se ressent de cet effort. Dans la transformation de toutes choses qui se fait autour de nous, il fallait à l’avenir une génération tout entière qu’il pût épuiser à son gré dans son creuset pour voir ce qu’il aurait à tirer un jour du pays auquel elle appartient, qu’il pût rassasier, dans un court intervalle, de gloire, de honte, d’or, de misère ; qu’il pût, tant qu’il voudrait, couronner de conquêtes et d’épines des buissons ; blesser au cœur, frapper à la joue, afin de faire sur elle ses essais pour les temps qui suivront et pour le peuple qui en doit profiter ; et cette génération, c’est la nôtre. Aussi bien, quand nous sommes nés dans la gloire de l’empire, et que quelque temps après, dans notre enfance, nous nous sommes mis à jouer dans la rue avec ce qui restait de son dernier lambeau, nous aurions dû songer qu’un tel apprentissage ne nous présageait rien de bon pour notre âge mûr. Aujourd’hui, qui nous dira des nouvelles de notre jeunesse un moment si courtisée, si enviée sous la restauration, et que l’on salua de si hautes promesses pour son âge viril. Eh bien ! nous y voilà arrivés, et notre robe virile à nous, où est-elle ? vous nous vêtissez de douleurs et de haine. Est-ce là tout ? Si quelqu’un le sait par hasard, qu’il nous dise où sont nos projets commencés, nos études enthousiastes, notre spiritualisme hautain et notre avenir politique dont nous étions si fiers ? N’en par-