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UN TOUR DE MATELOT.

qui faisaient contre eux un feu soutenu. Plusieurs lignes de bâtimens de commerce de diverses nations, mais surtout d’Angleterre, étaient mouillés à terre des bâtimens armés ; Grivel gouverna sur ce groupe, parce que les boulets ne devaient pas venir l’y chercher. Il donna en plein parmi eux, et de touchantes marques d’intérêt furent prodiguées à lui et à ses nobles compagnons. L’attention de tous les équipages avait été éveillée par la fusillade dont on avait salué le départ de la citerne ; tous les yeux étaient attachés sur cette embarcation ; on suivait chacun de ses mouvemens, et quand on la vit laisser loin derrière elle la meute qui la chassait et entrer dans la paisible enceinte du mouillage de navires marchands, on devina que des marins seuls avaient pu concevoir cette manœuvre. La générosité qui compatit à tous les malheurs, et cette voix intérieure du marin qui s’intéresse toujours à la destinée du marin, même ennemi (sublime fraternité des hommes de mer), ces vives sympathies se manifestèrent par d’honorables transports.

— Hourra ! hourra ! criaient à-la-fois les matelots pour encourager nos braves fugitifs.

Partout les bonnets sautaient en l’air, on battait des mains avec enthousiasme, on riait, on montait dans les haubans, comme si l’on avait rendu les honneurs militaires à des vainqueurs jouissant de l’ovation du triomphe. Les Français répondirent à ces témoignages de bienveillance en saluant les étrangers dont ils recevaient pour quelques momens une hospitalité si amicale. Ce n’est pas au surplus le seul acte d’obligeance qui dans cette journée marqua la conduite des Anglais. Le capitaine Grivel et les siens apprirent plus tard que l’officier sous les ordres duquel était la chaloupe qu’on avait vu venir à bord de la Vieille-Castille pendant l’embarquement des prisonniers, avait refusé de courir après eux. Il répondit au sergent espagnol qui l’avertissait du départ des officiers du ponton. « Ils s’en vont ; je leur souhaite un bon voyage ! je suis envoyé pour dépasser vos câbles, c’est là tout mon devoir, et je ne m’en détournerai pas. » Un trait pareil mérite des éloges. Il se conçoit d’ailleurs à merveille ; pour des cœurs bien placés, il n’y a point d’ennemis