Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
489
UN TOUR DE MATELOT.

outre ils sont marins, comme ils l’ont bien prouvé en cette occasion ; car je ne fusse point arrivé à terre, si nous n’avions su les uns et les autres que des mathématiques.

J’ai l’honneur, etc.

l. grivel.


C’est avant de se coucher que le capitaine écrivit ce rapport si simple, où sa romanesque aventure est caractérisée d’événement ordinaire, qui fait quelque honneur à la marine. Il affaiblissait beaucoup les couleurs dont il aurait pu, sans forfanterie, se servir pour peindre ce drame merveilleux ; mais personne au port de Sante-Marie ne jugeait la chose comme Grivel. La nouvelle de l’évasion courut tout de suite les rangs de l’armée, et quand elle arriva dans la ville avec les prisonniers, elle y causa une émotion, une joie bien concevable. Les visites, les félicitations, les embrassemens accablaient les héros déguenillés. Leurs frères d’armes voulurent leur faire fête ; invités à dîner partout, les compagnons du capitaine n’acceptèrent point cette politesse : ils tenaient à célébrer tous ensemble leur délivrance. Ils se réunirent pour cela dans une auberge, et officiers, soldats et domestiques s’assirent à la même table : c’était le jour de l’égalité que celui des périls communs et de la commune délivrance. On vécut en amis ; on se dédommagea des privations endurées ; on fit de bonnes et chaudes plaisanteries contre ceux qui, par leur faute, mangeaient encore la ration espagnole ; on chercha à se rappeler toutes les circonstances de cette longue navigation d’une heure, dont le but était la découverte d’une terre à laquelle on aspirait comme à une plage inconnue ; et, chose singulière, on eut de la peine à s’en souvenir : c’était un songe. Pendant le repas, si gai, si fraternel, où s’élargissaient de nobles poitrines oppressées par un cauchemar de dix-huit mois et par une agonie de soixante minutes, les musiques des régimens français vinrent donner des sérénades sous les fenêtres de la Possada. La foule se réunit dans la rue, et, quand les fugitifs de la Vieille-