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LE MESSAGE.

correspondance cachetée soigneusement par mon ami d’un jour.

Le château où demeurait sa maîtresse se trouvait à huit lieues de Moulins, et encore fallait-il, pour y arriver, faire quelques lieues dans les terres. Alors, il m’était assez difficile de m’acquitter de mon message ; car, par un concours de circonstances inutiles à expliquer, je n’avais que l’argent nécessaire pour atteindre Moulins. Cependant, avec l’enthousiasme de la jeunesse, je résolus de faire la route à pied, et d’aller assez vite pour devancer la Renommée des mauvaises nouvelles qui marche si rapidement.

Je m’informai du plus court chemin, et j’allai par les sentiers du Bourbonnais, portant, pour ainsi dire, un mort sur mes épaules. À mesure que j’avançais vers le château de Montpersan, j’étais de plus en plus effrayé du singulier pélerinage que j’avais entrepris. Mon imagination inventait mille fantaisies romanesques. Je me représentais toutes les situations dans lesquelles je pouvais rencontrer madame la comtesse de V**, ou, pour obéir à la poétique des romans, la Juliette tant aimée du jeune voyageur. Je forgeai des réponses spirituelles à des questions que je supposais devoir m’être faites. C’était à chaque détour de bois, dans chaque chemin creux une répétition de la scène entre Sosie et la lanterne à laquelle il rend compte de la bataille. À la honte de mon cœur, je ne pensai d’abord qu’à mon maintien, à mon esprit, à faire preuve d’habileté ; mais lorsque je fus dans le pays, une réflexion sinistre me traversa l’âme comme un coup de foudre qui sillonne et déchire un voile de nuées grises. Quelle terrible nouvelle pour une femme en ce moment tout occupée de son jeune ami, qui avait peut-être eu mille peines à l’amener légalement chez elle, et qui, sans doute, espérait mille joies !…

Enfin, il y avait encore une charité cruelle à être le messager de la mort : aussi, je hâtai le pas, m’embourbant, me crottant ; et j’atteignis bientôt une grande avenue de châtaigniers, au bout de laquelle les masses du château de Montpersan se dessinaient dans le ciel comme des nuages bruns à contours capricieux.

En arrivant à la porte du château, je la trouvai toute grande