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DE L’ALLEMAGNE.

de la noblesse d’autrefois. Que nous reste-t-il donc à faire ? Nous préparer à périr dignement, comme ont péri tous les pouvoirs supérieurs qui nous ont devancés ; car ce que l’on fait pour nous sauver nous tue, et notre grandeur est de nous résigner tôt ou tard à tomber sous les pieds de l’état pour empêcher sa chute. Nous avons cru qu’il se ferait un miracle pour nous, et que le pouvoir des temps modernes, descendu par bonds jusqu’à nous, s’arrêterait à nous. Nous avons détourné les yeux de cette autre démocratie qui nous regarde béante. Nous avons dit à haute voix et en nous croyant seuls : « Dieu merci, c’est assez descendu. » Et nous avons laissé tomber ainsi, sans le vouloir, notre secret dans ces cercles de lentes représailles que nous creusons de nos pieds. Chose étrange ! on avoue l’esprit de changement dont la France est saisie, et l’on cherche des institutions contraires à cet esprit, pour le tenir en lesse ; mais un peuple ne vaut rien à faire le stoïcien, et il ne tend pas long-temps des embûches à sa propre nature. Si la mobilité, comme on le dit, est le génie de la France, c’est la mobilité qui s’organisera chez elle et qui trouvera en soi son remède et sa durée. Le pouvoir aristocratique et le pouvoir monarchique ont eu, chacun dans le passé de la France, des siècles pour se développer à l’aise. Reste le pouvoir démocratique, avide, lui aussi, d’une place égale dans le temps, pour s’y consumer à son tour, afin que tous les faits de la société moderne étant accomplis, et toutes ses solutions épuisées sur les ruines de toutes les formes, s’établisse un jour dans ses fondemens l’ordre nouveau dont le monde est en travail, et que personne ne peut aujourd’hui ni définir ni prévoir.


edgar quinet.