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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

bien qu’elle ne fût pas officielle, on la donnait néanmoins comme certaine ; j’y ajoutai donc foi comme tout le monde. Cependant à mesure que j’y réfléchis davantage, elle me parut de moins en moins croyable. Il me sembla que rien ne pouvait motiver les fameuses ordonnances auxquelles nous avions déjà refusé de croire sur un bruit vague qui s’en était répandu. En admettant toutefois que ces ordonnances eussent paru ; que ce dernier coup de dé eût été joué ; qu’eût été fait le dernier va-tout de la monarchie, il me sembla impossible de supposer qu’on ne se fût pas mis en mesure de le soutenir. La garde royale, la garnison, l’artillerie de Vincennes, n’étaient-elles pas plus que suffisantes pour faire face à un mouvement de Paris, pour écraser Paris ! Ce n’était donc que sur le terrain du refus de l’impôt, par mille résistances partielles et surtout par la force d’inertie, que je crus possible qu’une résistance sérieuse, une résistance générale vint à se manifester, d’autant qu’il n’en fallait pas davantage pour donner la victoire à la légalité. Je me dis aussi qu’un gouvernement ayant derrière lui un principe puissant, ayant fait la guerre, ayant une armée, disposant depuis quinze ans d’un budget d’un milliard, d’une administration puissante, était à l’abri d’un coup de main, ne pouvait périr en trois jours. J’arrivai de la sorte à trouver dans la date de la nouvelle un éclatant démenti à la nouvelle elle-même. Je refusai de croire à la vérité, par obstination à demeurer dans la vraisemblance. Nous n’eûmes ce jour-là aucune communication avec la terre et le lendemain nous mîmes à la voile.

L’impatience de revoir la France était grande à bord. Je la partageais tout le premier. Certains détails, paraissant positifs, mêlés aux récits d’ailleurs assez vagues qu’on nous avait faits, trouvaient de temps à autre le défaut de la cuirasse d’incrédulité logique dont je m’étais revêtu. Alors de poignantes inquiétudes me prenaient au cœur. Ma famille, mes amis, la France enfin, notre belle France, qu’en était-il de tout cela ? mais vous le savez, on ne saurait désirer bien vivement d’arriver au but sans voir les obstacles se multiplier en chemin. Les vents contraires ou le calme semblèrent vouloir éterniser cette traversée d’ordinaire fort courte. Je revis encore long-temps les Baléares. Je me rappelle qu’un soir entre autres, pendant que derrière elles le soleil se couchait au milieu d’une pourpre étincelante ; qu’en face apparaissait la lune mollement bercée sur un lit de nuages grisâtres ; qu’à notre droite un orage expirait dans le lointain