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des triumvirs et la lâcheté du sénat ; et dans ces temps calamiteux où les barbares déchiraient la vieille Europe, on voit le vieillard romain les menacer d’une croix et les faire tomber à ses genoux. Enfin, l’Italie du moyen âge s’élance à la tête de la civilisation moderne, portant d’une main le flambeau des lettres et des arts, et de l’autre l’épée de la liberté. Mais il faut l’avouer, cette grande gloire a disparu. Trois siècles de domination étrangère, pendant lesquels on a tour-à-tour employé la force et l’astuce, les tourmens de la torture et les séductions du plaisir[1], paraissent avoir porté leurs fruits. Cependant c’est à tort que ces mêmes étrangers, après avoir opprimé et mutilé l’Italie, s’obstinent à la représenter comme un cadavre, car les talens ne sont pas plus rares au-delà des Alpes que dans toute autre contrée de l’Europe.

D’autre part, quoique la difficulté des communications intellectuelles, le manque d’un centre d’action, les méfiances des gouvernemens et les fréquentes proscriptions opposent de grands obstacles au développement moral d’un peuple, quoique la fermentation générale des esprits ait porté en Italie toutes les idées vers la politique, nous dirons que ces circonstances ne suffisent pas pour absoudre ceux des Italiens qui y cherchent une excuse à leur paresse ; car nous demanderons si lorsque le Dante était condamné à être brûlé vif avec toute sa famille ; si lorsque le duc de Mantoue séquestrait les livres et les effets du Tasse, à peine sorti de prison, pour forcer le poète à célébrer ses louanges ; si lorsque Giordano Bruno expirait dans les flammes au milieu de Rome ; si lorsque, enfin, il y a à peine un demi-siècle, Giannone mourait enfermé dans la citadelle de Turin, et qu’on offrait à Lagrange, comme une insigne faveur, de le faire valet de chambre du roi de Piémont, les sciences et les lettres étaient plus encouragées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Et à ceux qui pensent que le désir d’affranchir son pays

  1. On sait que le sénat de Venise, pour détourner les jeunes gens de la politique, faisait venir de l’Épire et des îles de l’Archipel les plus belles femmes qu’on pût trouver pour en peupler les lieux de débauche. Les Plombs et la prostitution étaient les moyens de gouvernement de l’aristocratie vénitienne.