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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

en épis ou fait éclater en soleil, car les nègres sont aussi une marchandise, qu’on pèse, qu’on emballe, qu’on consomme. Il n’est pas jusqu’à l’Espagne et au Portugal qui ne parfument les tables de l’Europe de leurs oranges, de leurs grenades ; mais en cela, ils sont moins heureux que Nuremberg qui envoie ses pincettes et ses verroux, ses serrures et ses casse-noisettes dans les Indes Orientales ; les casse-noisettes nous valent les éventails d’écaille et de plumes, le vermillon avec lequel Roqueplan colorera un chef-d’œuvre ; et Canton mange nos confitures et Sèvres boit du thé. Et tout cela, tous ces biens, toutes ces merveilles, c’est la mer qui nous les fait, la mer qui nous les donne, Et il y a des gens qui n’ont jamais vu la mer !

Peut-être, dans cet article, ai-je un peu imité le patron Luzerne, il oublia la mer ; j’oubliais le vaisseau. Le vaisseau, monument auquel chaque âge a ajouté une pièce, est bien loin d’avoir atteint le terme de sa perfection. Le dernier terme, s’il en est un, serait d’arriver à la combinaison intime de la plus grande vitesse et de la plus grande solidité, qualités qui s’excluent dans les procédés connus de l’architecture navale. Pour que l’écrivain, préoccupé de cette forme nouvelle de littérature, en reflète dans d’innombrables détails l’émotion générale, il faut que cette émotion il la fasse voir de bien haut partie. Nous sentirons mieux l’effroi et la grandeur de la mer, quand nous connaîtrons la faiblesse des moyens employés pour la vaincre. Rien ne jette plus avant dans les abîmes de la philosophie humaine que la vue du squelette de l’homme. Le vaisseau en construction, c’est le squelette du phénomène maritime.

Je crois qu’il y a poésie ou toute autre chose dans cet enfantement graduel du vaisseau, dans ce développement qui se fait à l’œil ; je crois aussi que l’art tirerait de merveilleuses comparaisons, d’infinis rapprochemens, peut-être aussi quelques grandes pensées, du spectacle d’un vaisseau en construction. On sait que rien n’est animé comme toutes ces intelligences distinctes qui s’y appliquent, l’une avec la hache, l’autre avec la scie, l’autre avec le chanvre, celles-ci avec le maillet, celles ci encore avec l’herminette, celles-là avec l’équerre, toutes