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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/79

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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

que l’on touche, celui de la terre auquel on répond et celui du ciel ! Voyager autant à travers les étoiles qu’à travers les flots ; faire d’autant de points lumineux de la voûte autant de bornes milliaires, autant de phares dont un seul rayon prêt à s’éteindre dans l’eau suffit pour se guider… Ainsi, dans la navigation, la géométrie devient un culte, l’algèbre une prière.

N’est-ce pas une religion tout entière que celle des astres ? n’est-ce pas par les astres qu’on trouve la terre, qu’on retrouve le port, qu’on évite le rocher ? N’y a-t-il pas pour chaque danger un signalement ineffaçable dans le ciel ? Le ciel n’est-il pas la véritable carte routière de la mer ? car qu’est-ce que la latitude ?

J’ai parlé de la religion des marins ; peut-être est-ce de l’idolâtrie qu’il faudrait dire. Le sentiment religieux est chez eux brusque, profond, mais court, comme les grandes tempêtes. Ils ne prient pas, ils adorent : aussi l’objet de leur culte, c’est une femme, c’est la Vierge.

La vierge des marins n’est pas cette sainte protectrice qui s’élève à tous les carrefours de l’Italie et de l’Espagne, au pied de laquelle vient s’agenouiller le voleur, les mains encore rouges de sang ; ce n’est pas cette grande dame que les seigneurs castillans font plier sous le poids de l’or, des soies, des diamants ; ce n’est pas cette bergère brunie, aux longs cils abaissés, au chapeau tressé de jonc et de paille, que les paysans promènent à travers leurs champs pour appeler un beau soleil ou une pluie féconde ; ce n’est pas non plus cette tendre mère, dont le regard est si indulgent pour les jeunes filles, qui viennent les mains croisées, la pâleur sur leur visage, lui dire tout bas une grande faute : la vierge du marin est pauvre et solitaire ; elle habite le rocher nu qui surplombe la mer ; elle est noire, agreste, rudement vêtue ; mais elle est belle, quoique noire. Gardez vos vierges du Carmel et des Sept-Douleurs, vous, gens de la ville et des champs ; mais au marin laissez Notre-Dame de Bon-Secours, Notre-Dame de Guadeloupe, Notre-Dame de la Garde ; les marins en sont jaloux. Malheur à qui douterait de Notre-Dame de Guadeloupe ; car n’est-ce pas elle qui fait luire le feu