Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
REVUE DES DEUX MONDES.

côté, comme la race juive. Je désire que vous n’en soyez pas.

Mais que dis-je ? Qui que vous soyez d’ailleurs, vous n’avez nul besoin de vous mêler de votre parti. Les partis ont soin d’enrégimenter un homme malgré lui, selon sa naissance, sa position, ses antécédens, de si bonne sorte, qu’il n’y peut rien, quand il crierait du haut des toits, et signerait de son sang qu’il ne pense pas tout ce que pensent les compagnons qu’on lui suppose et qu’on lui assigne. — Ainsi, en cas de bouleversement, j’excepte absolument les partis de notre consultation, et là-dessus je vous abandonne au vent qui soufflera.

Stello se leva, comme on fait quand on veut se montrer tout entier, avec une secrète satisfaction de soi-même, et il jeta même un regard sur une glace où son ombre se réfléchissait :

— Me connaissez-vous bien vous-même, dit-il avec assurance ? Savez-vous ? (et qui le sait, excepté moi ?) savez-vous quelles sont les études de mes nuits ?

Pourquoi, si elle est ainsi traitée, ne pas dépouiller la poésie et la jeter à terre comme un manteau usé ?

Qui vous dit que je n’ai pas étudié, analysé, suivi, pulsation par pulsation, veine par veine, nerf par nerf, toutes les parties de l’organisation morale de l’homme, comme vous de son être matériel ; que je n’ai pas pesé dans une balance de fer machiavélique les passions de l’homme naturel, les intérêts de l’homme civilisé, leurs orgueils insensés, leurs joies égoïstes, leurs espérances vaines, leurs faussetés étudiées, leurs malveillances déguisées, leurs jalousies honteuses, leurs avarices fastueuses, leurs amours singés, leurs haines amicales ?

Ô désirs humains ! craintes humaines ! vagues éternelles, vagues agitées d’un océan qui ne change pas, vous êtes seulement comprimées quelquefois par des courans hardis qui vous emportent, des vents violens qui vous soulèvent, ou des rochers immuables qui vous brisent.

— Et, dit le Docteur en souriant, vous aimeriez à vous croire courant, vent ou rocher ?

— Et vous pensez que…

— Que vous ne devez jeter que des œuvres dans cet océan ?