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produire ce qu’il y a de plus inimitable, de plus individuel et de plus intime au monde : la fantaisie et la moquerie. Qu’on imite la simplicité antique d’Eschyle, ou l’hydre à mille têtes de Shakespeare, je le conçois tout au plus ; qu’on ressaie aujourd’hui le masque d’airain ou l’histoire à la course, c’est téméraire peut-être ; mais au moins la méthode est saisissable, et peut être appliquée. Mais vouloir, comme l’amant de Margarita Cogni, comme le tabagiste de Berlin, se jouer impunément de toutes les vraisemblances et de toutes les poésies, c’est à coup sûr une audace que Prométhée ne se fût pas permise.

Et n’oubliez pas qu’avant Gulleyaz et Dudhu, nous avons Doña Julia et Haidée ; qu’avant Catherine et les Bas-Bleus de Londres, nous avons des scènes d’amour et de crédulité, comparables à Francesca di Rimini ; et remarquez bien qu’il n’en va pas ainsi dans la Table de nuit. M. Paul de Musset prend Don Juan par la fin, et ne nous donne pas le commencement. Il débute par ne pas croire, et alors son dédain et sa colère, sa raillerie et son mépris s’espadonnent dans le vide. Sa poésie est en cendres, quand il veut la brûler : c’est une grande erreur.

Pourtant son volume offre de l’intérêt ; mais je ne veux pas quitter la plume sans dire un mot du dandysme littéraire, qu’il professe hautement. À mon avis, il se méprend sur la qualité ; au lieu de se contenter d’entourer ses héros d’opulence, de luxe et d’oisiveté, il s’attache à railler les gens crottés et même ceux qui vont en fiacre. Ceci n’est pas de bon goût, et même répugne au ton. Voyez miss Edgeworth, Joanna Baillie, Caroline Lamb et Bulwer ! Lisez Belinda, Graham Hamilton et Pelham ! Y est-il question une seule fois de fausse richesse ou de la pauvreté honteuse. Non vraiment. Un membre du parlement, qui dispose à son gré de ses chiens, de ses chevaux et de ses maîtresses, ne se méprend pas ainsi. Ce qui établit, entre la rue Saint-Georges et la rue de Varennes, une si réelle différence, c’est que les comtesses du faubourg Saint-Germain changent de colliers et de bracelets, sans s’inquiéter de ce qu’ils coûtent, tandis que la femme d’un agent de change discute le budget de sa parure, ou le raconte au bal comme une nouvelle ou un événement.

Et ainsi le dandysme de M. Paul de Musset est ourlé de bourgeoisie. Qu’il y prenne garde ! Avec l’esprit qu’il a, et dont il sait faire bon usage, il faut qu’il s’arrête à temps.

Espérons que les Contes macaroniques de son frère, et un nouveau volume de contes plus originaux, plus libres, mieux noués et plus suivis, nous feront changer d’avis sur Don Paez et Rodolphe, sur la portée et l’avenir de ce double et incontestable talent.


— HERMANN[1]. C’est une chose si rare aujourd’hui, au milieu du déluge de volumes dont la bibliopée inonde les guéridons et les somno, qu’un livre pris au sérieux par celui même qui l’écrit, qu’on doit une réelle reconnaissance aux hommes qui veulent bien encore se dévouer à l’expression et à l’épuisement d’une idée. Puisque la fabrication des livres est devenue depuis quelques années

  1. 2 vol, in-8o, chez Gosselin.