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tation, attirait autour de lui les jeunes gens dans lesquels il remarquait quelque ardeur à l’étude, et propageait son nom, tant en Angleterre qu’en Allemagne. Vous m’avez souvent parlé, monsieur, de l’état que vos historiens et vos savans font de notre compatriote, vous m’avez dit combien il était plus haut placé dans leur esprit que certain importateur, dont on pouvait au moins blâmer l’imprudence. Effectivement, M. Guizot apporta dans ses travaux historiques un caractère à lui propre, une consistance personnelle qui les soutient contre les investigations de la critique. Aussi, quand en 1828, il reparut dans sa chaire, il fut véritablement considéré comme le chef d’une école historique et politique ; son enseignement fut non-seulement profond, érudit, mais animé d’une pensée libérale et philosophique, qui voulait tourner la science à une utilité sociale. M. Guizot exprima ouvertement cette idée en abordant l’histoire de la civilisation française : « Dans les études que nous venons faire, il s’agit pour nous de bien autre chose que de savoir ; le développement intellectuel ne peut, ne doit pas rester aujourd’hui un fait isolé : nous avons à en tirer pour notre pays de nouveaux moyens de civilisation, pour nous-mêmes une régénération morale. La science est belle sans doute, et vaut bien à elle seule les travaux de l’homme ; mais elle est mille fois plus belle quand elle devient une puissance, et enfante la vertu. C’est là ce que nous avons à en faire : découvrir la vérité, la réaliser au dehors, dans les faits extérieurs, au profit de la société ; la faire tourner au-dedans de nous en croyances capables de nous inspirer le désintéressement et l’énergie morale qui sont la force et la dignité de l’homme en ce monde, voilà notre triple tâche, voilà où notre travail doit aboutir…[1]. » M. Guizot, dans sa chaire, était plus hardi et plus libéral que ses deux autres collègues MM. Cousin et Villemain ; on pouvait reconnaître un homme d’état, qui ne répugnerait pas, le temps venu, à se montrer novateur. Comme il entrait dans ses vues d’exercer partout une

  1. Cours d’histoire de la civilisation française, tome i, page 36, 37.