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BRAUNSBERG LE CHARBONNIER.

question de chiffres. Je conçus dès-lors pour la richesse un respect qui tient de la religion, et j’écrivis sur mon livre de maximes : La richesse est la première des vertus. Archimède, pends-toi à quelques vieux troncs de l’Élysée : tu n’as pas deviné ce levier pour soulever le monde !

Quand le tourbillon des plaisirs, dans lequel nous roulions incessamment, me laissait quelques momens de réflexion froide et calme, je cherchais à m’expliquer quelle pouvait être la source des trésors que le baron répandait avec une si effrayante profusion. Lorsque nous avions ainsi jeté l’or à pleines mains, le baron ouvrait alors sa petite boîte de vermeil : il en tirait des poignées de magnifiques diamans, et nous voyions alors accourir les joailliers et les riches capitalistes du pays, qui mettaient en échange, à notre disposition, leur fortune et leur crédit. Mais ce qui me paraissait effrayant et surnaturel, c’est que la petite boîte de vermeil, que nous avions vidée le soir, se trouvait remplie de nouveau le lendemain matin. Où le baron trouvait-il à remplir cette boîte talismanique ? Entretenait-il réellement des intelligences avec les puissances de l’enfer ? Je ne pouvais raisonnablement m’arrêter à cette idée. J’avais honte de moi-même, quand le bonheur me revenait. Franchement je me crus fou un instant.

Je m’imaginai un jour que tout ce que je voyais n’était qu’un rêve, une illusion de mon cerveau exalté. J’appelai un médecin, je me fis saigner, je me mis au lit, je bus des tisanes, je m’abstins de toute nourriture. Rien de nouveau en moi, si ce n’est un horrible mal d’estomac, qu’une vie plus rationnelle fit cesser presque aussitôt, et je me remis en route avec le baron.

Six mois s’étaient écoulés déjà depuis notre départ de Londres, et je vous assure que, dans ces six mois, j’avais vécu dix ans. J’en avais plus appris dans ces six mois de pèlerinage et de plaisirs, que dans tout le reste de ma vie. Au compte des médecins du baron, il ne lui restait plus que cinq mois à vivre. La phthisie, qui lui rongeait le poumon, devait être parvenue à son dernier période. Chaque jour devait être pour lui un pas de fait dans le sépulcre. Eh bien ! comme si le diable eût voulu donner un démenti à la médecine, malgré nos excès, malgré cette vie active