Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
REVUE DES DEUX MONDES.

les dépositions ; puis il se mit à les lire toutes avec attention les unes après les autres, les disposant en ordre, selon ses souvenirs et leur importance, se raillant de quelques-unes, dont la fausseté et l’absurdité le faisaient sourire. Tantôt c’étaient de soi-disant conspirateurs, arrivant de l’île d’Elbe, munis, pour plus de secret, de quatre-vingts lettres pour les affidés de France. Tantôt c’était la maladresse des gens envoyés à La Rochelle, pour y retrouver l’ouvrier qui avait fabriqué le poignard. La déposition de madame de Béthizy, dame d’honneur de la duchesse de Berry, le toucha par sa sensibilité et sa justesse. Celles de MM. de Nantouillet et d’Angles lui parurent aussi très exactes. Le premier soir, cette lecture le mena fort avant dans la nuit, et il ne s’endormit qu’après avoir rangé toutes ces paperasses avec le plus grand soin au pied de son lit. Le matin, il se levait dès que le jour lui permettait de lire, continuait son examen, et, deux jours entiers, il le poursuivit avec la plus scrupuleuse attention. À mesure qu’il avançait dans ce travail, et du moment qu’il l’avait commencé, ses traits avaient repris une sérénité qui ne s’altéra plus jusqu’au jour de l’exécution. L’instant de sa délivrance approchait avec celui de son supplice, et maintenant, au fait de l’accusation et de la procédure, il ne lui restait plus, en attendant le jugement, qu’à voir ses deux avocats. « D’aujourd’hui en huit, disait-il, tout sera fini. »


Le matin du jour où ses avocats devaient le voir, il mit plus de recherche à sa toilette, comme s’il eût tenu à faire quelque impression sur eux. Il prit le linge le plus propre que contînt sa chétive garde-robe ; avant de s’habiller complètement, il rangea avec soin et régularité les vêtemens peu nombreux qui la composaient ; et sentant lui-même ce qu’il y avait peut-être de ridicule dans cette attention de sa part : « Vraiment, dit-il, je dispose tout cela, comme si je devais vivre encore cent ans. » Cependant l’heure n’était point encore arrivée : il se rassit sur son grabat, et se mit à parcourir de nouveau les pièces de la procédure, et à lire encore une fois celles qui l’intéressaient le