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nation et flétrit toujours, dans la conscience du genre humain, le malheureux qui se dévoue à le commettre.

Mais qu’on veuille bien se reporter quelques instans, par la pensée, aux événemens de 1814 et de 1815 ; qu’on se rappelle ce que durent être pour une nation vingt années triomphante et dominatrice de l’Europe, une défaite si désastreuse, et le joug imposé par l’étranger ; que l’on songe à tout ce qu’il dût alors passer de frénésie et de douleur, aussi juste qu’inconsolable, dans tous les cœurs amis du pays ; que l’on songe surtout à ce qu’éprouvèrent ces classes si désintéressées et si généreuses de la population que 89 avait émancipées, et qui depuis tant d’années inondaient de leur sang les frontières de la patrie ; qu’on se rappelle que ces classes furent tout d’abord écrasées par la restauration, annulées par elle, et qu’elles durent supporter tout le fardeau de la honte et de la défaite, de même qu’elles avaient supporté tout le poids de la gloire et de la conquête. Quel affreux bouleversement d’idées ! Quel chaos ! Quel profond abattement ! Quels transports de fureur ! Quels espoirs de vengeance ! Si, voulant personnifier, et présenter dans un homme tous ces sentimens réunis à leur plus haute puissance, toutes ces passions populaires bouillonnant sous l’invasion et le retour des princes émigrés, quelqu’un demande un représentant complet et fidèle de ces instincts nationaux, de ce drame moral dont la révolution de juillet fut la véritable explosion, où ira-t-il chercher cet homme ? Certes, ce ne sera point dans les classes élevées ou dans les classes moyennes de la société : car, ou elles étaient complices de la restauration, ou du moins elles l’avaient reçue sans trop de répugnance, et se prêtaient sans peine aux transactions politiques : ce ne sera que dans les classes inférieures qu’on trouvera l’objet de cette personnification. L’irréconciliable ennemi des Bourbons sera cet ouvrier laborieux et honnête, dont le travail et la probité, dont les bras et le dévoûment font la richesse et la force du pays ; ce sera l’homme du peuple dans toute sa vérité et sa grandeur : vivant de peu, sobre, actif ; fier de son indépendance et de sa vertu ; bon, obligeant pour tous ; sérieux et grave, comme il convient de l’être à l’homme dont la vie est pénible et occupée ;