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maître. On a fait observer que la triste réaction qui suivit son retour s’autorisait du nom de roi ; mais en réalité rien ne se faisait que pour et par la noblesse. Froissart, qui la voyait de si près penser et agir, le témoigne à chaque page. Sans doute, il dut croire son triomphe complet, son pouvoir éternel ; et quelle prévoyance eût pu alors découvrir dans la société une force capable de briser les liens de fer de cette immense aristocratie ? Admirons cependant le rapide mouvement des choses. Froissart n’est mort que vingt ans avant la naissance de Louis xi.

Nos historiens, dont le discernement et la critique sont admirables, comme l’on sait, ont fait à Froissart un reproche bien étrange, celui de n’être pas bon Français. En vérité, il faut être bien infatué de l’idée de la monarchie des quatorze siècles, pour imaginer pareille chose. À l’époque où le suffrage des pairs et des hauts barons de France appelait à la couronne Philippe de Valois, nos provinces, quoique unies entre elles par le lien féodal, quoique soumises à la suzeraineté commune du monarque sacré dans Reims, ne présentaient rien qui ressemblât à la réunion solide et compacte de notre territoire, telle que nous la voyons aujourd’hui : et cette déclaration du parlement de 1327, que nos aïeux ont considérée comme le fondement de leur foi politique, ne fit d’abord qu’ajouter à la confusion générale. Froissart lui est positivement contraire. « Ainsi alla ledit royaume hors de la droite ligne, ce semble à moult de gens, dit-il en termes exprès, par quoi grandes guerres en sont nées et avenues, etc. » Ces guerres, à certains égards, il faut les considérer comme des guerres civiles. À la bataille de Poitiers, il y avait dans l’armée du prince Noir plus de Gascons et de Poitevins que d’Anglais. Le sire de Mauléon, que Froissart rencontre dans une hôtellerie, lui raconte qu’il a toujours tenu frontière et fait guerre pour le roi d’Angleterre ; car son héritage sied et gît en Bordelais. Duguesclin lui-même s’était toujours armé françois. Il ne l’était donc pas ! En voyant ce que nos provinces de l’ouest et du midi ont d’influence sur nos destinées, ce que les hommes qu’elles produisent savent s’acquérir de prépondérance dans nos affaires, on peut juger combien nos aïeux avaient de désavan-