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REVUE DES DEUX MONDES.

M. Fauvel, M. Pouqueville et M. de Châteaubriand ont visité, à des époques différentes, l’ancienne capitale de l’Argolide, et n’ont retrouvé que de faibles restes. Le docteur Clarke trouva à Argos plusieurs beaux vases en terre cuite enlevés à d’anciens tombeaux, et découvrit au pied de la montagne de l’Acropolis les restes d’un temple souterrain où les prêtres des faux dieux faisaient parler les oracles. Le même voyageur a donné sur Mycènes des renseignemens savans et des interprétations souvent ingénieuses.

Nous n’avions plus rien à voir à Argos, et nous prîmes le chemin de Mycènes, à l’orient, montés sur de maigres chevaux qui ne ressemblaient guère aux coursiers argiens si renommés dans l’ancienne Grèce. Il était midi et le soleil était brûlant. Nous traversâmes d’abord, à un quart d’heure d’Argos, le lit desséché de l’Inachus, qui me rappela la vengeance de Neptune. Le chemin que nous suivions était bordé d’agnus-castus, mais pas un seul arbre, pas un peu d’ombre pour échapper aux feux du jour. Pausanias avait rencontré sur la même route les monumens de Thieste et de Persée ; pour nous, moins heureux que lui, nous ne retrouvâmes que des agnus-castus et des épis tombés sous la faucille. Nous vîmes à droite et à gauche, quelques villages bâtis au penchant des collines ; au loin, devant nous se montraient les montagnes de la Corinthie. Après trois heures de marche, nous arrivâmes au petit village de Carvathi, situé à un quart d’heure de Mycènes. Nous avions pour guides trois Argiens ; ils ne connaissaient point le nom de Mycènes. Ce nom si doux et si poétique a été remplacé chez eux par le mot de Carvathi. Les Grecs qui nous accompagnaient ne disaient point : Nous allons à Mycènes ; mais nous allons à Carvathi, et c’est nous, étrangers occidentaux, barbares des Gaules, qui allions montrer à des enfans d’Argos les ruines de Mycènes.

Grâce aux travaux et aux fouilles de lord Elgins, aux fidèles dessins de Choiseul-Gouffier et de M. Fauvel, les ruines de Mycènes sont parfaitement connues. Le tombeau d’Agamemnon, vaste caveau où furent déposées ses royales dépouilles, a été si souvent décrit et représenté sur des dessins si exacts, qu’il serait superflu d’en parler encore. Cette héroïque sépulture, fouillée tantôt par la science, tantôt par la cupidité, a subi dans son intérieur de déplorables dégradations. L’asile funéraire qui recueillit les restes du roi des rois sert de retraite aux mendians vagabonds et aux troupeaux. Mais Eschyle a parlé de ce tombeau, et la poésie gémit encore autour du monument. Les enfans d’Agamemnon font entendre des accens plaintifs, car le crime d’une mère leur a tout enlevé. Ce jeune Argien qui s’avance, triste et le front incliné, c’est Oreste ; il vient déposer des offrandes sur le tombeau de son père ; il parle, écoutons :

« Ô toi qui fus commis à la garde des morts, Mercure, sois mon protecteur et mon appui : après un long exil, je reviens enfin dans ma patrie. Au pied de ce tombeau, mon père, je t’appelle, entends-moi. Vois ces cheveux que je coupe pour la seconde fois, et dont Inachus reçut jadis les prémices, pour la nourriture qu’il me donna dans mon enfance. Ô mon père, c’est à toi que je les consacre, ils sont l’offrande de la douleur… Qu’ai-je vu ? Quels sont ces femmes vêtues d’habits lugubres ?… Apportent-elles des libations pour