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quer d’énergie. Plutôt que de citer des fragmens pris çà et là, je préfère traduire une pièce complète qui me paraît une de celles qui peuvent le mieux faire connaître la physionomie de ce talent. Je traduis en vers, cette langue m’étant plus familière que l’autre, et me permettant de suivre de plus près le mouvement de l’original sans avoir à lui faire subir cette double transformation d’anglais en français, puis de poésie en prose.

UNE CHRONIQUE D’AMOUR.[1]

Tout dans cette demeure ou se tait ou sommeille,
Tout, hormis la fontaine au murmure argentin,
Ou le vent, messager des roses qu’il éveille,
Mêlant au bruit de l’eau quelques soupirs lointains.
Il est plus de minuit. D’une huile parfumée
Les lampes tour-à-tour ont tari les flots d’or :
Toutes, en exhalant une tiède fumée,
S’éteignent ; toutes, non : il en reste une encor !
Une lampe d’argent, près d’une jeune femme,
Qui, de sa clarté pâle, empruntant le secours,
Trace sur le vélin, où s’épanche son âme,
Ces derniers mots, hélas ! si cruels et si courts !
— La peine confiée est, dit-on, moins amère !
S’il est vrai, c’est qu’alors la peine est éphémère ;
Ce sont des maux légers, non de pesans malheurs,
Qui passent entraînés par le torrent des pleurs ;
Mais il en est parfois d’incurables, d’intimes,
Qu’on ne saurait sonder sans en être victimes ;
Dard mortel et caché, qui fait long-temps souffrir,
Et qu’on ne peut du cœur arracher sans mourir.


Jeune, bien jeune encor paraît celle qui penche
Un front appesanti sur sa main frêle et blanche ;
Belle, elle ne l’est point, si ce n’est par hasard,
Quand un éclair de joie anime son regard ;

  1. Le titre anglais de cette pièce est The Neglected One.