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AVENTURES D’UN VOYAGEUR.

Mes seules armes étaient un tas de pierres et un bâton, que je mettais en joue comme un fusil. Bientôt les plus hardis se montrèrent. Je leur présentai mon bâton. Ce mouvement les fit reculer : ils poussèrent quelques cris, s’arrêtèrent, et, jetant sur moi des regards de feu, auxquels la lune semblait donner encore plus de férocité, ils rentrèrent dans le bois. C’est dans cet état d’agitation continuelle que je passai la nuit ; mais, quand le jour commença à poindre, la nature reprit ses droits. Je m’endormis et ne me réveillai qu’entre huit et neuf heures du matin.

« Mes seconds bandages étaient déchirés : je fus obligé de mettre mes genoux à découvert, et, après avoir enveloppé mes pieds, et bu une bonne provision d’eau dans le ruisseau, je recommençai mes tristes excursions. Ce jour-là, ce fut au nord-nord-est que je me dirigeai. Je ne trouvai ni eau ni cerises ; mais l’espérance me soutint, car je découvris quelques pas d’hommes et de chevaux.

« Vers le crépuscule, un loup d’une stature énorme sortit tout-à-coup d’un taillis fourré, à peu de distance du sentier que je suivais, et se planta droit à vingt pas de moi, dans une position menaçante, déterminé à me barrer le passage. Le moindre symptôme de peur eût été le signal de l’attaque : je lui présentai mon bâton et me mis à crier aussi fort que ma voix me le permettait. Il sembla d’abord assez étonné, et recula de quelques pas, tenant cependant toujours ses yeux perçans fixés sur moi. J’avançai doucement vers lui : il se mit à hurler d’une manière horrible, peut-être pour réunir autour de lui quelques camarades qui l’auraient aidé à se repaître de ma misérable carcasse. De mon côté je redoublai de cris jusqu’à m’enrouer. J’appelai plusieurs noms différens, pour lui faire croire que je n’étais pas seul. Un vieux lynx, accompagné d’un petit, vint à passer, en cet instant, tout près de moi ; mais ils ne s’arrêtèrent pas. Le loup garda sa position environ un quart d’heure, et, voyant que j’étais bien déterminé à ne pas céder, et qu’aucun aide ne semblait devoir lui arriver, il se retira vers le bois, et, à mon grand plaisir, il disparut dans les ombres. »