Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/502

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
496
REVUE DES DEUX MONDES.

fond de ma pensée. Pourtant, dans ce dénuement de témoignages politiques, il me reste quelque chose. Les poètes d’un grand peuple ont assisté à chacune des révolutions que j’ignore. Sans doute, ils auront conservé dans leurs urnes les larmes des peuples que je cherche, ils auront gardé en eux-mêmes l’image de ces temps qui ailleurs sont effacés sans retour, et je vais retrouver dans leurs œuvres ces jours de fête ou de deuil, et ces cris subits que toute une race d’homme a fait entendre, et qui autrement me sont perdus pour toujours.

Dans ce dessein, le premier homme que je rencontre a fait une fois l’épopée de l’esprit allemand. Il a personnifié celui-là à son insu dans les deux personnages de Faust et de Marguerite, les deux génies qui sont éternellement aux prises l’un avec l’autre : dans le génie de son peuple, l’extrême réflexion et l’extrême naïveté, l’excès de l’expérience et l’excès de l’abandon, tout l’héritage de science du genre humain et toute l’ignorante pudeur d’une race nouvelle qui n’a encore été mêlée ni aux rumeurs, ni aux convoitises de l’histoire. Le caractère étrange de cette œuvre qui est le fondement de l’art nouveau, annonce bien que quelque chose d’inoui vient de se passer dans le monde, et que les sociétés se sont formées tout-à-coup sur un type inconnu. Il faut certainement que la baguette des fées ait en un instant ensorcelé le genre humain, pour qu’il se soit réfléchi sous cette forme dans l’épopée contemporaine. Est-ce son bien, est-ce son mal ? Est-ce avec joie, avec douleur ? Le poète ne s’en inquiète pas ; il bâtit sa merveilleuse énigme dans le désert, et à tout le reste de ses œuvres il donne le repos et l’éternelle immobilité d’autant de sphinx qui entourent sa pensée sans l’expliquer, ni l’éclairer. Voilà Goëthe. À côté de lui, n’interrogez ni Wieland, ni Herder. Leur sérénité est plus grande et plus irréfléchie encore ; ils ne portent ni l’un, ni l’autre, la trace d’aucune douleur ni d’aucune blessure de leur temps ; et je peux croire, si je veux, qu’ils ont écrit dans des jours de repos oriental, là où l’on n’entend, en une vie d’empire, que bruire la feuille d’un palmier, et la brise souffler sous la porte d’une vieille ville du Delta. Au milieu de ces hommes, il en est un pourtant qui sem-