Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/567

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
561
POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

rêt réel et soutenu qu’il renferme, il doit certainement occuper le second rang parmi les titres littéraires de M. Bulwer. Le travestissement des caractères politiques en bandits de grande route est une invention de mauvais goût.

Eugene Aram ; publié le mois dernier, ferme la série que nous avions à parcourir. C’est, après Pelham, le plus important ouvrage de l’auteur. Il n’aurait pas si rapidement commencé sa réputation, mais il la soutiendra plus sûrement.

C’est un poème merveilleux et pathétique, une tragédie de village, où les acteurs sont peu nombreux, et n’empruntent aucun éclat à leur rang social, à l’illustration de leur nom, mais une tragédie si pleine, si rapide, si riche de terreur et de larmes, qu’Euripide ou Shakespeare ne l’auraient pas désavouée. Le sujet choisi par M. Bulwer appartient à l’histoire, et se trouve dans Lloyd et dans Smollett. Les caractères introduits par l’auteur n’ont rien d’exclusif ni de conventionnel, mais possèdent au contraire cette profondeur et cette majesté que l’universalité emporte toujours avec elle. C’est à coup sûr le fruit de longues méditations.

L’auteur annonce dans sa préface qu’il avait d’abord conçu le projet d’écrire Eugne Aram pour le théâtre, et, à moins qu’il n’ait reculé devant les intrigues de la chambre verte, ce que nous ne saurions blâmer, on doit regretter qu’il n’ait pas réalisé sa première intention ; car il y a pour les romanciers des usages depuis long-temps établis, et qui ont presque force de loi. S’ils ont sur les dramatistes le privilége d’appeler à leur aide l’analyse psychologique d’un acteur, la description de son costume, on ne leur permet pas volontiers d’imprimer au héros la même réalité : c’est un tort sans doute, un préjugé que le poète devrait fouler aux pieds ; mais ce préjugé, pour peu qu’on y réfléchisse, s’explique facilement. Comme on est habitué à trouver dans un roman plus de fiction qu’au théâtre, on ne pardonne pas à l’auteur de présenter sous une forme trop nue le vice ou le crime. On est presque tenté d’imputer à sa moralité personnelle les inventions de sa fantaisie.

Et ainsi, si Eugene Aram eût été divisé en actes et en scènes,