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puis près de deux ans ; le spectacle de la société française remuant sous toutes les faces le problème de la sociabilité, vous a ému au fond de votre solitude ; je vous en écrirai ; et vous verrez combien d’idées dans un court espace de temps ont été produites, éparpillées, répandues ; nous en ferons le triage ; nous séparerons ce qui est ingénieux, nouveau et doit être fécond d’avec les imitations maladroites, les précipitations puériles et les comédies ridicules. Mais avant de choisir et de considérer quelque chose en particulier, il importe, monsieur, de vous édifier sur le caractère de notre dernière révolution : autrement vous auriez de la peine à me suivre dans le tableau que vous me demandez des opinions qu’elle a fait éclater ; aujourd’hui donc, si vous le permettez, je vous mettrai sous les yeux la déduction et la marche du principe révolutionnaire.


Laissez-moi faire une hypothèse, monsieur, un peu bizarre, je l’avoue, mais propre peut-être à vous faire saisir ma pensée rapidement, et qui me permettra de supprimer quelques explications intermédiaires. Je sais d’ailleurs à qui je m’adresse. Avec vous, monsieur, on peut être court et prompt. Or, je suppose, et c’est une hypothèse, qu’aujourd’hui un homme d’un entendement sain et régulier ouvre pour la première fois les livres que le christianisme a rédigés à son avènement, je veux dire les quatre Évangiles, et que ce même homme ignore tous les évènemens qui se sont passés depuis l’apparition de la religion qui a enseveli le paganisme, jusqu’à nos jours, c’est-à-dire les barbares, la féodalité, le moyen âge, les temps plus modernes. Que pensera cet homme sur la manière dont le monde a dû être gouverné depuis la promulgation de ces livres sacrés où il a lu la fraternité des hommes, leur égalité, leur commune origine ? Ne se représentera-t-il pas le monde heureux, dirigé par une moralité efficace et persévérante, la vérité non-seulement encensée, mais obéie, son règne assuré par une pratique triomphante, les hommes égaux et frères, soumis seulement aux règles légitimes de leur propre nature et à l’empire de l’esprit des choses. Vous savez si