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joint à cette croisade sainte qui marche au renversement des échafauds. Néanmoins M. Bignan fera mieux de nous donner une autre fois un livre fait exprès, un roman tout neuf et non pas d’occasion.

Le Mutilé[1] de M. Saintine ne doit pas être confondu dans la cohue des romans de pacotille. Assurément, ce n’est pas un ouvrage de premier ordre ; mais c’est l’ouvrage d’un homme de talent. Si vous acceptez une fois la situation invraisemblable et forcée du Mutilé, vous prenez à son histoire un singulier intérêt. Ce livre ne manque pas d’ailleurs d’une certaine poésie, et l’on y retrouve bien quelque chose du ciel et du soleil de l’Italie. Le roman de M. Saintine se distingue encore par une préface, à vrai dire, plus curieuse de disposition qu’amusante et spirituelle au fond. Cette préface est divisée en trois chapitres. Les deux premiers sont placés au commencement du volume ; le troisième est rejeté à la fin, en forme d’épilogue, de façon que tel lecteur impatient, qui, par effroi du discours préliminaire, se sauve d’abord au dénoûment d’une histoire, sera bien désappointé de rencontrer une queue de préface au bout du Mutilé, et de se trouver ainsi pris entre deux introductions. M. Saintine nous a joué là un malin tour.

Un roman supérieur encore à celui de M. Saintine, sinon par le style et les détails, au moins par la chaleur et la passion, c’est Indiana[2] de M. Sand. Il y a dans ce livre tout à-la-fois un amour sensuel, une volupté fougueuse, et une exquise délicatesse de sentiment. On dirait que cette étoffe brillante, mais sans harmonie, est l’œuvre de deux ouvriers bien distincts : qu’une main vigoureuse et ardente, une main de jeune homme, en a serré le tissu fort et grossier ; qu’une main plus légère, une main de femme, y a brodé des fleurs de soie et d’or. Quoi qu’il en soit, nous félicitons sincèrement M. Sand. Ses débuts n’avaient pas promis Indiana. Le voici en bon chemin, qu’il poursuive.

Voici venir maintenant un joli petit volume qui se fait appe-

  1. Chez Ambroise Dupont, rue Vivienne, n. 16.
  2. Chez Roret, rue des Grands-Augustins, n. 11.