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REVUE. — CHRONIQUE.

viennent se réunir comme en un centre commun toutes les lumières scientifiques de l’Europe, il se manifeste des besoins intellectuels qu’il faut satisfaire sous peine de manquer à la gloire et à la haute destinée du pays. Il se trouve un certain nombre d’hommes qui ne se contentent point encore de l’instruction solide et immédiatement applicable qu’ils ont puisée dans les établissemens scientifiques dont nous venons de parler. Aimant la science pour elle-même et d’un amour constant et désintéressé, ils veulent pénétrer jusque dans ses profondeurs, prendre part à son mouvement. C’est pour cette classe d’hommes qu’est surtout destiné l’enseignement du Collége de France, et le professeur doit leur exposer, non les principes de la science qui déjà leur sont suffisamment connus, mais sa philosophie, mais la marche à suivre dans les recherches destinées à en étendre le domaine, et l’ordre de raisonnemens sur lequel on doit s’appuyer. Abordant les théories nouvelles qui y prennent naissance, il examinera jusqu’à quel point elles sont confirmées ou ébranlées par les faits précédemment connus et par ceux dont la découverte est plus récente encore. C’est ainsi qu’il entretiendra le goût des recherches profondes, qu’il stimulera l’esprit d’invention et préparera à l’avenir du pays les hommes destinés à conserver et à étendre sa gloire scientifique et littéraire. Telle est, à n’en point douter, la destination du Collége de France, établissement unique en Europe, institution éminemment libérale et conçue dans une vue de progrès indéfini.

Des considérations générales que nous venons d’exposer, on déduira aisément, comme cas particulier, les indications qu’aura à remplir le professeur dans un cours d’histoire fait au Collége de France. Évidemment sa tâche ne consistera point à dérouler d’une manière plus ou moins complète, plus ou moins attachante, la série chronologique des détails de l’histoire ancienne ou moderne. Ces détails sont pour la plupart bien connus des élèves, et d’ailleurs ils se trouvent consignés, avec plus de développemens qu’il n’en pourrait donner, dans une foule d’ouvrages estimables. Ce qu’il devra se proposer principalement, ce sera de tracer la véritable marche à suivre dans les études historiques. Il indiquera donc les méthodes à l’aide desquelles on peut dégager les faits importans des erreurs qui tendent à les dénaturer, soit que ces erreurs résultent, comme pour les évènemens qui ont été conservés long-temps par simple tradition orale, de l’imperfection des souvenirs, du goût pour le merveilleux, de l’emploi si fréquent dans les âges reculés des métaphores et des symboles ; soit qu’elles proviennent, comme dans les chroniques contemporaines, des passions, des préjugés, ou même de la mauvaise foi de l’écrivain ; soit qu’enfin, dans les récits des historiens proprement dits, elles soient dues aux écarts de l’imagination, à un abus de l’esprit systématique. Il fera voir quels secours la science de l’histoire peut emprunter aux autres branches de nos connaissances ; comment, en consultant, non-seulement les monumens des arts, mais encore ceux des révolutions de notre globe, en rapprochant les annales célestes des annales des nations, on peut arriver pour certains faits long-temps obscurs à une certitude véritable, ou du moins les élever au degré de probabilité dont ils sont susceptibles. Cette méthode, qu’on appelle la critique historique, se fonde sur un emploi raisonné