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alors à faire de l’esprit ; on posa le cas où un Allemand se ferait voir en Chine pour de l’argent, et où l’affiche attesterait que c’est un Allemand véritable, et énumérerait ses talens qui consisteraient principalement à parler philosophie, à fumer du tabac et à savoir prendre patience. Le pauvre Allemand aurait peu de succès, je crois.

Un jeune étudiant, qui venait de Berlin où il était allé se faire purifier de ses mauvaises notes de menées démagogiques, parla beaucoup de cette ville qu’il était loin d’avoir vu sous tous ses aspects. Il avait visité le théâtre ; mais il le jugeait fort mal. Le pauvre jeune homme attribuait de grands résultats pour l’art, aux intendans royaux, aux grands comédiens et aux directeurs ; il ne savait pas, le pauvre jeune homme, que l’art n’entre pour rien dans toutes les idées de ces gens-là, et que l’intendance n’a guère à s’occuper que de la couleur de la barbe avec laquelle tel rôle doit être joué, et de la fidélité des costumes qui sont dessinés par des historiens assermentés, et cousus par des tailleurs scientifiques. Rien n’est plus nécessaire en effet ! Si Marie Stuart portait un tablier qui appartînt au temps de la reine Anne, les banquiers se plaindraient certainement avec raison qu’on leur enlève toute leur illusion ; et si, par malheur, lord Burleigh passait les culottes de Henri iv, cet anachronisme occuperait à coup sûr pendant toute la soirée les conseillères de finances et de justice et toute leur société. Mais l’intendance royale ne doit pas seulement s’en tenir à l’exactitude des tabliers et des culottes ; l’art bien entendu, la couleur locale, veulent qu’elle nous rende la réalité des personnages. Aussi Othello sera bientôt joué par un Maure véritable, et le professeur Lichtenstein a certainement déjà écrit en Afrique à cet effet. Dans Misanthropie et repentir, le rôle d’Eulalie sera donné à une véritable femme perdue, celui de Pierre sera joué par un véritable idiot et celui de l’inconnu par un cocu réel ; toutes choses qu’on n’aura pas besoin de faire venir d’Afrique. Si le jeune homme dont je parle avait mal apprécié la comédie de Berlin, il avait encore plus mal compris l’opéra ; car il n’avait pas remarqué que la musique de janissaires de Spontini avec ses timbales, ses trompettes, ses