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et ne sont pas moins démocratiques qu’elles ; et ces habitudes ont violemment choqué les siennes. Or, comme on doute beaucoup moins de l’excellence de ses habitudes que de la vérité de ses idées, parce qu’on discute celles-ci et qu’on ne discute pas celles-là, mistress Trollope, obligée de choisir entre des habitudes conséquentes à ses idées, et des idées conséquentes à ses habitudes, n’a pas hésité : révoltée des habitudes démocratiques, elle a renié les principes qui les engendrent, et ouvert les yeux à la beauté des maximes aristocratiques. Qui pourrait s’en étonner ? Quant à moi, je trouve charmant ce choix d’une femme, et cette naïve conversion. J’en voudrais beaucoup à mistress Trollope si elle n’eût pas gardé fidélité à nos bonnes habitudes monarchiques. Je déclare qu’en les sacrifiant à des idées, à de pures idées, elle se perdait entièrement dans mon imagination. J’en aurais conclu qu’elle n’a jamais été belle, et me souvenant de lady Morgan, j’aurais mis sur le compte de sa figure un libéralisme aussi impitoyable. Quelle femme, en effet, a pu jouir du pouvoir de sa beauté, et pourrait renoncer à un principe de gouvernement qui met la beauté sur le trône et le monde à ses pieds ? Car, qu’on ne s’y trompe pas, cet usage dépend de la constitution ; il émane du principe aristocratique, et si bien, qu’en Amérique, sous le régime du principe opposé, il n’y en a pas trace. Là les hommes, si l’on en excepte les prêtres, ne regardent pas les femmes, n’en tiennent aucun compte. Ils dînent à l’auberge pour ne pas les voir, même à table ; s’il y a fête, ils manifestent solitairement leur joie ; eux seuls prennent place au banquet ; les femmes sont reléguées dans une chambre voisine où on leur sert des biscuits et de la viande salée, et où elles attendent patiemment la fin du repas et l’heure du bal. Dans le salon et au théâtre, en leur présence, à côté d’elles, les hommes cèdent tranquillement à leurs démocratiques habitudes, comme, par exemple, de mâcher du tabac, de cracher sans cesse, et d’avoir constamment les pieds plus haut que la tête. Est-il possible qu’un principe qui engendre de telles mœurs soit vrai ; et le fût-il, sa vérité pourrait-elle être perceptible à une femme ?

Nous venons d’expliquer tout le livre de mistress Trollope. Ce