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nous apprendrions à connaître les nôtres et la grande distance qui les sépare ; c’est pourquoi le livre de mistress Trollope est bon à lire en ce temps et en ce pays, et c’est pourquoi nous en donnerons quelques extraits. Nous ne partagerons pas au même degré toutes ses antipathies ; elle est femme et Anglaise : nous sommes Français ; elle a vu et senti les choses ; nous ne pouvons les voir et les sentir qu’à travers sa narration ; la différence est grande, et toutefois elle laissera subsister l’identité des impressions. Quant aux conclusions générales et aux jugemens particuliers de mistress Trollope, nous ne pouvons en aucune manière accepter les unes, et nous aurons à rectifier les autres. Disons quelques mots encore pour expliquer notre pensée.

Le raisonnement de mistress Trollope est continuellement celui-ci : Voilà des habitudes détestables ; or, elles découlent rigoureusement du principe démocratique ; donc le principe démocratique n’est pas moins détestable qu’elles. J’en demande pardon à mistress Trollope, mais il n’y a là de détestable que son raisonnement. Des habitudes ne sont jamais détestables pour les habitués ; et la preuve, c’est qu’ils les ont, et qu’ils ne les auraient pas s’ils les trouvaient mauvaises. Elles ne le sont que pour ceux qui en ont de contraires, et qui doivent les trouver telles, parce qu’ils en ont de contraires. On ne peut donc pas dire que des habitudes soient plus détestables que d’autres ; tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elles sont différentes ; on ne peut donc rien en conclure contre le principe qui les engendre, sinon qu’il engendre des habitudes différentes. Voilà tout ; et cette remarque suffit pour détruire les accusations de mistress Trollope contre le principe démocratique. Encore une fois, tout ce qui résulte de son livre, c’est que les mœurs démocratiques sont antipathiques aux nôtres ; mais il n’en résulte nullement que le principe démocratique qui gouverne les États-Unis, soit plus vrai que le principe aristocratique qui gouverne l’Angleterre.

Avec plus de supériorité dans l’esprit, mistress Trollope aurait vu cela. L’horreur des Américains pour l’aristocratie des mœurs anglaises, dont elle cite tant de traits, aurait dû le lui révéler.