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c’était dommage de salir une si jolie robe, et qu’elle ferait mieux d’en mettre une autre.

« Mon dieu ! c’est ma meilleure et ma plus mauvaise, me répondit-elle ; car je n’en ai pas d’autre. »

« Et en effet je trouvai que cette jeune demoiselle avait quitté la maison de son père sans autres vêtemens que ceux qu’elle portait. Je lui donnai aussitôt de l’argent pour acheter ce qui était nécessaire, et nous nous mîmes à l’ouvrage, mes filles et moi, pour lui faire une jupe. Elle applaudit d’un sourire quand la besogne fut terminée ; mais jamais nous n’en eûmes une parole de remercîmens, non plus que pour aucune autre chose que nous avons pu faire pour elle. Elle ne cessait de nous demander quelques-unes de nos hardes à emprunter, et lorsque nous refusions : « À la bonne heure, disait-elle ; mais je n’ai jamais vu gens aussi regardans que vous. Il y a des jeunes demoiselles de ma connaissance qui vivent auprès des vieilles femmes de la ville, et elles et leurs filles leur prêtent tout ce qu’elles demandent. Je parie que, vous autres Anglaises, vous pensez que nous empoisonnerions vos habits, comme si nous étions des négresses ». Et ici j’ai besoin de dire aux lecteurs que ce ne sont point des conversations faites à loisir que je leur donne. Toutes celles qu’ils trouveront dans ce livre ont été écrites le jour même, avec toute la fidélité que ma mémoire y a pu mettre.

« Cette jeune demoiselle me quitta au bout de deux mois, parce que je refusai un jour de lui prêter assez d’argent pour acheter une robe de soie pour un bal où elle voulait aller. « Alors, me dit-elle, ce n’est pas la peine que je reste ici plus long-temps. »

« Je ne saurais admettre qu’un tel état de choses puisse être désirable, ni qu’il soit avantageux à l’une des deux classes intéressées. Je pourrais écrire cent pages sur ce sujet, et cependant ne donner qu’une imparfaite idée de l’orgueilleuse et maladive susceptibilité qui tourmente ces pauvres créatures. Elle était si excessive dans plusieurs, que la compassion l’emportait en moi sur tout sentiment de déplaisir ou même de ridicule. Une de celles que j’eus était une jolie personne,