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rouler sur le pavé brûlant de l’an ii de la République. Cependant j’entendis derrière moi le bruit de deux chevaux et de quatre roues qui me suivaient et s’arrêtèrent. Je me retournai et je vis planer au-dessus de ma tête la bénigne figure de Blaireau. — Ô figure endormie, figure longue, figure simple, figure dandinante, figure désœuvrée, figure jaune, que me veux-tu ? m’écriai-je.

— Pardon, si je vous dérange, me dit-il en ricanant, mais j’ai là un petit papier pour vous. C’est la citoyenne Rose qui l’a trouvé comme ça sous son pied.

Et il s’amusait, en parlant, à frotter son grand soulier dans le ruisseau.

Je pris le papier avec humeur et je lus avec joie et avec l’épouvante si grande du danger passé :

« Suite :

C.-L.-S. Soyecourt, âgée de trente ans, née à Paris, ex-baronne, veuve d’Inisdal, rue du Petit-Vaugirard.

F.-C.-L. Maillé, âgé de dix-sept ans, fils de l’ex-vicomte.

André Chénier, âgé de trente-un ans, né à Constantinople, homme de lettres, rue de Cléry.

Créquy de Montmorency, âgé de soixante ans, né à Chitzlemberg, en Allemagne, ex-noble ;

M. Bérenger, âgée de vingt-quatre ans, femme Beauvilliers-Saint-Aignan, rue de Grenelle-Saint-Germain ;

L. J. Dervilly, quarante-trois ans, épicier, rue Mouffetard.

F. Coigny, seize ans et huit mois, fille de l’ex-noble du nom, rue de l’Université ;

L. J. Dorival, ex-ermite. »

Et vingt autres noms encore. Je ne continuai pas : c’était le reste de la liste ; c’était la liste perdue, la liste que l’imbécille commissaire avait cherchée dans son chapeau d’ivrogne.

Je la déchirai, je la broyai, je la mis en mille pièces entre mes doigts, et je mangeai les pièces entre mes dents. Ensuite, regardant mon grand canonnier, je lui serrai la main avec oui, ma foi, je puis le dire, oui vraiment, avec… attendrissement.

— Bah ! dit Stello en se frottant les yeux.