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ayez bien des choses des hommes d’autrefois ; mais vous êtes pur, c’est beaucoup. Je suis bien sûr au moins que vous n’aimeriez pas plus que moi le despotisme militaire, et si l’on ne m’écoute pas, vous le verrez arriver ; il prendra les rênes de la révolution si je les laisse flotter, et renversera la représentation avilie.

— Ceci me paraît très juste, citoyen, répondis-je. En effet, ce n’était pas si mal, et c’était prophétique.

Il fit encore son sourire de chat.

— Vous aimeriez encore mieux mon despotisme à moi, j’en suis sûr ? hein ?

Je dis en grimaçant aussi… : Eh !… mais !… avec tout le vague qu’on peut mettre dans ces mots flottans.

— Ce serait, continua-t-il, celui d’un citoyen, d’un homme votre égal, qui y serait arrivé par la route de la vertu, et n’a jamais eu qu’une crainte, celle d’être souillé par le voisinage impur des hommes pervers qui s’introduisent parmi les sincères amis de l’humanité.

Il caressait, de la langue et des lèvres, cette jolie petite longue phrase, comme un miel délicieux.

— Vous avez, dis-je, beaucoup moins de voisins à présent, n’est-ce pas ? On ne vous coudoie guère ?

Il se pinça les lèvres et plaça ses lunettes vertes droit sur les yeux pour cacher le regard.

— Parce que je vis dans la retraite, dit-il, depuis quelque temps. Mais je n’en suis pas moins calomnié.

Tout en parlant, il prit un crayon et griffonna quelque chose sur un papier. J’ai appris cinq jours après que ce papier était une liste de guillotine et ce quelque chose mon nom.

Il sourit et se pencha en arrière :

— Hélas ! oui, calomnié, poursuivait-il ; car, à parler sans plaisanterie, je n’aime que l’égalité comme vous le savez, et vous devez le voir plus que jamais à l’indignation que m’inspirent ces papiers, émanés des arsenaux de la tyrannie.

Il froissa et foula avec un air tragique ses grands journaux anglais ; mais je remarquai bien qu’il se gardait de les déchirer.

— Ah ! Maximilien, me dis-je, tu les reliras seul plus d’une fois