Cette fois je lui serrai la main en traversant.
— Gardez-vous de nommer votre frère, on n’y pense pas. — On dit le dénoûment bien beau.
À la dernière passe, il me reprit chaudement la main.
— Il n’est sur aucune liste ; je ne le nommerai pas. Il faut faire le mort. Le 9, je l’irai délivrer de ma main. — Je crains qu’il ne soit trop prévu…
Ce fut la dernière traversée. On ouvrit, nous étions aux deux bouts de la chambre.
Robespierre entra, il tenait Saint-Just par la main ; celui-ci vêtu d’un habit poudreux, pâle et défait, arrivant à Paris. Robespierre jeta sur nous deux un coup-d’œil rapide sous ses lunettes, et la distance où il nous vit l’un de l’autre me parut lui plaire. Il sourit en pinçant les lèvres.
— Citoyens, voici un voyageur de votre connaissance, dit-il.
Nous nous saluâmes tous trois, Joseph Chénier en fronçant le sourcil, Saint-Just avec un signe de tête brusque et hautain, moi gravement comme un moine.
Saint-Just s’assit à côté de Robespierre ; celui-ci sur son fauteil de cuir, devant son bureau, nous en face. Il y eut un long silence. Je regardais les trois personnages tour-à-tour. Chénier se renversait et se balançait avec un air de fierté, mais un peu d’embarras, sur sa chaise, comme rêvant à mille choses étrangères ; Saint-Just, l’air parfaitement calme, penchait sur l’épaule sa belle tête mélancolique, régulière et douce, chargée de cheveux châtains flottans et bouclés ; ses grands yeux s’élevaient au ciel et il soupirait. Il avait l’air d’un jeune saint. Robespierre nous regardait comme un chat ferait de trois souris qu’il a prises.
— Voilà, dit Robespierre d’un air de fête, notre ami Saint-