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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

Je t’excepte, parce que je connais tes vertus républicaines, mais en général, je les regarde comme les plus dangereux ennemis de la patrie. Il faut une volonté une. Nous en sommes là. Il la faut républicaine, et pour cela il ne faut que des écrits républicains, le reste corrompt le peuple. — Il faut le rallier ce peuple, et vaincre les bourgeois de qui viennent nos dangers intérieurs. Il faut que le peuple s’allie à la Convention et elle à lui ; que les sans-culottes soient payés et colérés, et restent dans les villes. Qui s’oppose à mes vues ? Les écrivains, les faiseurs de vers qui font du dédain rimé, qui crient : ô mon âme ! fuyons dans les déserts ; ces gens-là découragent. La Convention doit traiter tous ceux qui ne sont pas utiles à la république, comme des contre-révolutionnaires.

— C’est bien sévère, dit Joseph, assez effrayé, mais plus piqué encore.

— Oh ! je ne parle pas pour toi, poursuivit Robespierre d’un ton mielleux et radouci, toi, tu as été guerrier, tu es législateur, et quand tu ne sais que faire, poète.

— Pas du tout ! pas du tout ! dit Joseph, singulièrement vexé, je suis au contraire né poète, et j’ai perdu mon temps à l’armée et à l’assemblée nationale.

J’avoue que, malgré la gravité de la situation, je ne pus m’empêcher de sourire de son embarras.

Son frère aurait pu parler ainsi, mais Joseph, à mon avis, se trompait un peu sur lui-même ; aussi l’incorruptible, qui était au fond de mon avis, poursuivit pour le tourmenter.

— Allons ! allons ! dit-il avec une galanterie fausse et fade, allons, tu es trop modeste, tu refuses deux couronnes de laurier pour une de roses-pompons.

— Mais il me semblait que tu aimais ces fleurs-là toi-même autrefois, citoyen, dit Chénier, j’ai lu de toi des couplets fort agréables sur une coupe et un festin. Il y avait :


Quand l’escadron audacieux
Des enfans de la terre
Jusque dans le séjour des dieux
Osa porter la guerre,