C’est quelquefois pour moi un véritable besoin de passer une journée seul à la maison, et là de vivre dans une sorte d’inanition rêveuse, où je repasse tant de choses éloignées, anciennes et nouvelles, jusqu’à ce que, par le mélange de toutes ces nuances, il se forme une sorte de vapeur qui s’étend sur le tout, et qui efface les dissonances de la vie dans une sensation douce et sans objet. On est très bien soutenu dans de telles dispositions par les orgues portatives, qui me sont ordinairement très insupportables, et qui retentissent dans toutes les rues jour et nuit. Ces instrumens sonnent aussi cent mélodies à-la-fois, dont le tourbillon mêlé forme une musique qui se perd comme un rêve.
Mais un autre jeu des rues de ce pays est bien plus amusant, c’est une véritable comédie nationale, qui mérite un éclaircissement plus précis, et qui m’a valu aujourd’hui une agréable distraction à ma fenêtre.
C’est Punch l’anglais, tout-à-fait différent du Pulcinella italien, dont j’ai copié moi-même fidèlement l’image au moment où il tue sa femme ; car c’est bien le plus damné comique que j’aie jamais rencontré, tout-à-fait sans conscience, comme le bois dont il est fait, et un peu aussi comme la classe de la nation qu’il représente.
Punch a en lui, comme son homonyme, quelque chose de l’arac, du citron et du sucre : fort, acide et doux, et avec cela d’un caractère assez semblable à l’ivresse que produisent tous ces ingrédiens. Par là-dessus, c’est l’égoïste le plus accompli que porte la terre et qui ne doute jamais de rien. Avec sa gaîté et son humeur sans frein, il triomphe de tout, rit des lois, des hommes, et même du diable, et montre l’Anglais en partie tel qu’il est et en partie tel qu’il devrait être. Mais permets que je peigne Punch, pour ainsi dire, avec ses propres paroles, et que je te communique quelques fragmens de sa biographie.