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L’avantage et l’inconvénient de ce régime (que, dans tous les cas, nous ne nous sommes pas donné), c’est que les traditions d’art et l’influence d’une école, bonne ou mauvaise, ne dépassent guère la durée de la vie humaine. Peu de directeurs de la pensée publique gardent le sceptre assez long-temps pour arrêter un progrès nécessaire ou empêcher le retour à de meilleures voies.

Ces époques, où chacun, libre d’entraves et dépourvu d’appui, se jette, à son gré, dans tous les sentiers de l’intelligence, dans tous les essais, dans toutes les folies, et sillonne, en tous sens, les routes de l’imagination et du génie, doivent nécessairement amener de grandes découvertes, de grandes vérités, de grandes beautés d’art, mais isolées, sans lien, sans un foyer commun qui les concentre et leur donne sur l’humanité une puissance égale à leur valeur. De cette pensée naît la profonde mélancolie qui pâlit le front des grands artistes.

Sous un tel régime, tout se presse, tout se hâte, tout s’entrechoque et s’entrenuit. L’art court de théorie en théorie, d’école en école. Tel système, dont le développement régulier eût rempli un siècle, est à bout, et accompli en deux ans. Le mouvement de cet art, qui marche à la vapeur, peut bien ne pas gêner la production des œuvres, dont la gestation n’est pas trop longue. À la rigueur, une statue, un tableau, un opéra, un roman, un recueil d’odes peuvent encore se composer, se publier et obtenir trois mois de vogue. Il est possible même que cette grande accélération de tous les rouages puisse faire franchir à l’intelligence individuelle des espaces inespérés, et que cet avantage, perdu pour la société, ne le soit pas pour les progrès futurs du genre humain. Au milieu de cette tourmente, les arts particuliers croissent et s’enrichissent de mille essais ; les méthodes se perfectionnent ; les procédés s’améliorent ; la peinture, invente les panoramas, la lithographie ; la musique, une foule d’instrumens nouveaux. Il y a des prodiges comme Paganini.

Mais l’art véritable, le grand art, celui de qui tous les autres relèvent ; l’art qui s’adresse aux générations, qui a besoin de siècles pour se déployer, et qui survit aux siècles ; l’art qui a