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DU ROMAN INTIME.

mort, des lettres qui ne devaient jamais voir le jour. Parfois l’amant qui survit (car c’est d’amour que se composent nécessairement ces trésors cachés), l’amant qui survit se consacre à un souvenir fidèle, et s’essaie dans les pleurs par un retour circonstancié, ou en s’aidant de l’harmonie de l’art, à transmettre ce souvenir, à l’éterniser. Il livre alors aux lecteurs avides de ces sortes d’émotions quelque histoire altérée, mais que sous le déguisement des apparences une vérité profonde anime ; ou bien, il garde pour lui et prépare pour des temps où il ne sera plus une confidence, une confession qu’il intitulerait volontiers, comme Pétrarque a fait d’un de ses livres, son secret. D’autres fois enfin c’est un témoin, un dépositaire de la confidence, qui la révèle, quand les objets sont morts et tièdes à peine ou déjà glacés. Il y a des exemples de toutes ces formes diverses parmi les productions nées du cœur, et ces formes, nous le répétons, sont assez insignifiantes pourvu qu’elles n’étouffent pas le fond et qu’elles laissent l’œil de l’âme y pénétrer au vif sous leur transparence. S’il nous fallait pourtant nous prononcer, nous dirions qu’à part la forme idéale, harmonieuse, unique, où un art divin s’emparant d’un sentiment humain le transporte, l’élève sans le briser et le peint en quelque sorte dans les cieux, comme Raphaël peignait au Vatican, comme Lamartine a fait pour Elvire, à part ce cas incomparable et glorieux, toutes les formes intermédiaires nuisent plus ou moins, selon qu’elles s’éloignent du pur et naïf détail des choses éprouvées. Le mieux, selon nous, est de s’en tenir étroitement au vrai, et de viser au roman le moins possible, omettant quelquefois avec goût, mais se faisant scrupule de rien ajouter. Aussi les lettres écrites au moment de la passion, et qui en réfléchissent sans effort de souvenir les mouvemens successifs, sont-elles inappréciables et d’un charme particulier dans leur désordre. On connaît celles d’une Portugaise, bien courtes malheureusement et tronquées. Celles de mademoiselle de Lespinasse, longues et développées, et toujours renaissantes comme la passion, auraient plus de douceur, si l’homme à qui elles sont adressées (M. de Guibert) n’impatientait et ne