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avec dégoût de cette terre qui a trompé tant d’espérances généreuses. Les champs d’Ayacucho, qui ont bu le dernier sang espagnol, devaient être la dernière place de carnage ; mais loin de là, cent autres lieux ont vu couler le sang américain, versé par des Américains, et le bruit de ces combats lointains est parvenu si souvent jusqu’à nous, que nos oreilles s’y sont accoutumées, et dédaignent de retenir les noms de ces jours malheureux. Leur souvenir meurt avec la feuille du journal qui, en passant, les enregistre dans ses colonnes. C’est un de ces noms inconnus que l’auteur de cet article exhume aujourd’hui, non pour préparer une page de l’histoire encore à naître des guerres civiles de l’Amérique, et raconter quelle nouvelle combinaison politique sortit du sang qu’il a vu répandre ; d’autres se chargeront de ce soin : il veut seulement ajouter un nouveau trait à l’esquisse déjà commencée des mœurs américaines, et tâcher de peindre sur le champ de bataille ces gauchos à demi sauvages, qui ont si vivement intéressé, depuis quelque temps, notre avide curiosité. Il a long-temps vécu parmi eux, et nulle de leurs habitudes ne lui est demeurée étrangère, ni les courses, d’un soleil à l’autre, dans les Pampas, ni les nuits passées sous la voûte du ciel près du feu à demi éteint, ni rien enfin de ce qui peuple de souvenirs et de regrets la mémoire du voyageur.

Un coup-d’œil rapide sur la situation de la République Argentine au mois de juin 1829, époque à laquelle se livra la bataille de la Tablada, et sur les évènemens qui l’amenèrent, précédera mon récit.

La guerre avec le Brésil était terminée depuis les derniers mois de l’année précédente ; l’indépendance de la Bande Orientale avait été reconnue solennellement par le traité de paix, et le pavillon du nouvel état, pâle imitation de celui des États-Unis, flottait sur les remparts de Montevideo[1]. Tel avait été le résultat glorieux d’une guerre de trois ans dont le fardeau tout entier avait pesé sur la province envahie par le Brésil et

  1. Ce pavillon est formé de bandes horizontales alternativement rouges et blanches, avec un carré rouge à l’un des angles couvert d’étoiles.