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trouve liberticide. Fichte, au contraire, appela la guerre au secours de l’indépendance allemande. Hegel a sur ce point des méditations plus complètes et plus calmes. Il reconnaît que la guerre n’est pas un accident arbitraire qui vient ensanglanter les hommes capricieusement ; elle est à ses yeux le combat des différentes idées qui constituent les peuples et se disputent l’empire ; elle entretient, pour ainsi dire, la santé des nations comme le mouvement des vents sauve les ondes d’une stagnation corrompue ; un calme éternel stupéfierait la nature aussi bien que la société. Je paraphrase un peu la comparaison de votre compatriote : wie die Bewegung der Winde die See vor der Fäulniss bewahrt, in welche sie eine dauernde Ruhe, wie die Völker ein dauernder oder gar ein ewiger Friede versetzen würde[1]. Récemment un écrivain distingué a, parmi nous, développé cette théorie, mais en l’exagérant. Je crains que M. Cousin, partagé entre De Maistre et Hegel, n’ait pas eu l’esprit assez libre pour se faire à lui-même son thème, se tracer son domaine, et parler avec cette indépendance qui préserve de l’amplification. Les Saint-Simoniens, à leur tour, ont reproduit les idylles de l’abbé de Saint-Pierre ; vous voyez, monsieur, que depuis trois siècles l’esprit s’est exercé sur le sang qu’on a versé.

À quoi sommes-nous donc destinés aujourd’hui ? À nous battre encore, et à raisonner de même, à tourner dans le même cercle de systèmes et de batailles ? N’y a-t-il donc pas d’issue ? Nous le verrons plus tard ; mais quoi qu’il arrive, je voudrais, monsieur, constater avec vous où nous en sommes ; vous m’avez paru quelquefois craindre que les premières ruptures de la paix européenne ne fussent l’ouvrage de l’impétuosité française : examinons, monsieur, et tâchons de comprendre les conjonctures présentes.

Vous m’accordez, monsieur, que la Révolution de 1789 est sortie naturellement de la civilisation intellectuelle du dernier siècle, et vous la reconnaissez pour l’application sociale de quel-

  1. Hegel, Naturrecht, page 333.