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REVUE DES DEUX MONDES.


DIFFÉRENCE DES DEUX POÉSIES.

Si nous passons de l’histoire comparée des deux versions de la légende à l’examen de leur mérite poétique, la supériorité de pathétique me paraît du côté de l’Edda. Les Niebelungs ne savent rien de cette passion et de cette mort de Brunhilde qui ébranlent si fortement, la douleur de Chrimhilde est faible à côté de celle de Gudruna. D’autre part, dans les amours de Chrimhilde et de Sigfrid, se peignent fidèlement la douceur et la tendresse d’âme des Allemands. Dans le récit de leur première entrevue, par exemple, il y a une innocence naïve, je dirai presque une gaucherie touchante, qui contraste singulièrement avec les horreurs qui suivent.

Les Niebelungs offrent, dans une foule de détails de mœurs, un charme paisible, une grâce domestique ; et, quant à la première partie, du moins on peut dire qu’elle ressemble aux chants de l’Edda, où il y a plus de mouvement, plus de force, comme l’Odyssée ressemble à l’Iliade.

Ainsi s’est formée cette légende épique, ainsi elle s’est diversifiée dans les deux principaux monumens qui la contiennent. Son histoire ne s’arrête pas là ; elle a subi bien d’autres modifications, elle a laissé bien d’autres traces ; mais, comme je l’ai dit en commençant, ce n’est pas ici qu’on peut tenter d’épuiser cette histoire. D’ailleurs elle est liée à deux histoires plus générales dont elle fait partie : celle du cycle scandinave et celle du cycle allemand pris dans leur totalité, et qui, tous deux, embrassent beaucoup d’autres choses que le meurtre et la vengeance tirée du meurtre de Sigurd, les deux faits auxquels je me suis borné. Cette notice, malgré sa brièveté, n’aura pas été peut-être entièrement inutile, si elle a donné une idée un peu précise du rapport de l’Edda et des Niebelungs, et fourni un spécimen de l’ordre de faits le plus curieux que présente l’histoire de la poésie, des assimilations et des transformations que subissent partout les épopées primitives.


j.-j. ampère