par la maladie et livré aux brutalités d’un aubergiste génois, tantôt sur un vaisseau près d’être attaqué par les pirates, au milieu des gémissemens, des prières, des vœux, de tout l’équipage, à son rang, l’épée à la main, et invoquant Saint-Antoine, dit-il, tout aussi dévotement que les autres ; enfin à Rome réduit à préparer économiquement son dîner lui-même, tel qu’il se peint, tenant un livre d’une main et de l’autre la cuiller-à-pot, s’apercevant parfois qu’il n’est pas facile de faire en même temps de la cuisine et de la philosophie ; dans toutes ces vicissitudes, il est toujours occupé de l’effet comique qu’on fait sur lui ou qu’il fait sur les autres, distrait souvent d’une infortune réelle par une scène, une situation qui lui semble plaisante ; et il se raconte et se raille lui-même, la vie est pour lui une comédie dans laquelle il se voit jouer un rôle bizarre, souvent triste, mais dont la représentation l’amuse toujours.
Cette existence errante et traversée est l’éducation presque nécessaire du poète comique et satirique ; on ne voit bien les vices et les travers des hommes, que quand on est mêlé familièrement avec eux par les intérêts pénibles de la vie ; ce n’est que quand on a besoin d’eux qu’on est forcé d’apprendre à les connaître.
Du reste, cette expérience des choses n’a manqué ni à Cervantes, soldat à Lépante, prisonnier chez les Maures, ni à Goldsmith, ni à Goldoni, ni à notre Molière lui-même, qui erra long-temps de province en province ; et enfin, il faut se souvenir que, par une singulière rencontre, tandis que la Norwège, dans la personne d’Holberg, venait visiter la France et l’Italie, Regnard se préparait, sans s’en douter, à une carrière du même genre, et allait, après beaucoup de courses, et d’aventures, graver son nom encore inconnu sur les rochers de la Laponie.
Après sa dernière excursion, plus longue et plus lointaine que les autres ; Holberg revint attendre qu’une chaire fût vacante par la mort d’un professeur, « dont, dit-il naïvement, la vie me paraissait bien longue. » Enfin cet heureux évènement arriva, mais le sort, qui voulait mettre de la comédie dans la vie d’Holberg, l’appela à professer la métaphysique. Cette