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ROMANS CARLOVINGIENS.

core cette supériorité, si grande qu’elle soit, ne le dispense-t-elle pas de recourir à la trahison. — Renaud et ses frères sont réduits de temps à autre aux situations les plus désespérées ; ils sont proscrits ; ils n’ont d’autre asile que les bois ou les cavernes, d’autre nourriture que des feuilles et des racines, d’autre vêtement que le fer de leur armure. Il n’y a point de privation, point de douleur que le romancier ne leur fasse souffrir. Il semble avoir peur de ne pas inspirer assez d’admiration pour leur constance, de ne pas exciter pour eux tout ce qu’il y a de plus vif et de plus poignant dans la pitié. Quant à Charlemagne, peu lui importe qu’on le trouve dur et barbare dans la prospérité, après l’avoir vu désolé et criard dans les revers. C’est Renaud, c’est le chevalier, c’est le seigneur de Montauban, ce n’est pas le monarque qu’il a voulu peindre, faire aimer et admirer.

La plupart des romans de cette classe furent écrits sous l’influence plus ou moins directe, sous le patronage des seigneurs féodaux, grands et petits, descendans de ces anciens chefs qui, sur la fin de la seconde race, avaient morcelé la monarchie carlovingienne. — L’esprit des pères avait passé aux enfans : l’unité monarchique que les premiers avaient détruite, les seconds luttaient de leur mieux pour l’empêcher de se refaire ; et les poètes romanciers des douzième et treizième siècles, en célébrant les rébellions des ducs et des comtes carlovingiens, flattaient et secondaient réellement l’orgueilleuse obstination des ducs et des comtes de leur temps à se maintenir indépendans du pouvoir royal. Dans ce sens, l’épopée carlovingienne était, pourrait-on dire, toute féodale, et l’héroïsme qu’elle célébrait le mieux et le plus volontiers, était l’héroïsme barbare, l’héroïsme individuel, agissant pour son propre compte, n’ayant d’autre but que sa propre gloire, plutôt que l’héroïsme civilisé, agissant dans des vues désintéressées d’ordre général.

Cette disposition des poètes romanciers à favoriser les tendances de l’esprit féodal leur est si naturelle, qu’elle les domine à leur insu ; elle se fait souvent sentir jusque dans celles de leurs compositions où l’on ne peut douter que leur but ne fût de célébrer des monarques, et particulièrement Charlemagne. À la