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tièrement cachés par des ponts, des maisons ou des voûtes naturelles. Ses rues, quoique nettoyées périodiquement par les pluies violentes qui s’y succèdent à de courts intervalles, sont peut-être les plus sales que j’aie jamais vues ; car on ne connaît ici aucun de nos plus simples usages d’Europe prescrits par la propreté et la salubrité : la voie publique est le réceptacle de toutes les immondices. Quito n’est éloigné de la ligne que de 13′17″. Les jours et les nuits y sont égaux. La température n’y varie que de 10° à 18°, et paraît tellement froide, en sortant de pays si chauds, que j’en souffris réellement tout le temps de mon séjour, malgré toutes les précautions que je pris pour me garantir. Il est vrai que je ne pus faire entrer le feu dans le nombre ; car les cheminées y sont aussi une chose inconnue. La position de cette ville unique dans l’univers, qui fait que, dans un rayon de quelques lieues, on peut trouver toutes les températures du globe, depuis celle de la zone glaciale jusqu’à celle de la zone torride, lui donne l’inappréciable avantage de jouir toute l’année des produits de tous les climats. Cependant les fruits d’Europe, les pêches surtout, y sont fort médiocres.

Nous arrivâmes à Quito, le 13 mars 1830, par une pluie battante, qui donnait à ses rues l’aspect d’autant de rivières. La nouvelle de notre arrivée mit toute la ville en émoi ; chacun voulait nous voir. Le mouvement est tellement contre la nature de ces peuples, qu’ils ne peuvent s’imaginer qu’on quitte son pays uniquement pour en connaître d’autres : ils attachent toujours aux voyages des motifs d’intérêt ou d’ambition. Or, je voyageais avec un jeune homme de mes parens, qui porte un nom tant soit peu allemand ; moi, j’étais militaire français : là-dessus on bâtit la plus étrange hypothèse. Mon compagnon de voyage était le duc de Reichstadt ; moi, j’étais son aide-de camp. De là l’empressement des Quiteños à nous rendre visite, et c’est peut-être à ce bruit absurde que nous dûmes notre introduction dans les meilleures sociétés de la ville. Toutefois je dois avouer qu’une fois l’erreur reconnue, leurs politesses et leurs prévenances ne diminuèrent en rien à notre égard.

Les solennités de la semaine-sainte approchaient ; nous résolûmes de faire quelques excursions dans les environs de Quito, et nous remîmes notre départ après Pâques ; car, si la semaine-sainte est imposante à Rome par l’éclat et la pompe des fêtes, elle n’est peut-être pas moins curieuse à Quito par l’originalité de celles-ci. Pâques tombait cette année-là le 11 avril, et huit jours auparavant, la veille du dimanche des Rameaux, commencèrent les cérémonies qui devaient se succéder sans interruption pendant toute la semaine-sainte. Le soir de ce jour-là, nous vîmes passer sous nos fenêtres cinq figures étranges, habillées de blanc et précédées d’une troupe d’enfans, chantant des cantiques. Chacune d’elles était coiffée d’un énorme bonnet en pain de sucre de cinq ou six pieds de haut, duquel pendaient par derrière deux morceaux de toile ou de rubans longs et étroits, qui quelquefois flot-