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UN SOUVENIR DU BRÉSIL.

Il se mit à ouvrir le paquet, dont le contenu m’était connu d’avance. À l’aspect du sang qui teignait les feuilles, sa terreur redoubla : saint Sébastien ! s’écria-t-il. Il courut à un crucifix suspendu au mur, dont le pied se terminait par un petit bénitier, et plongea l’œuvre du démon dans l’eau bénite qu’il contenait. Il s’agenouilla ensuite et prononça une courte prière. Alors le voyant plus calme :

— Maintenant, senhor, vous n’avez plus rien à craindre. Le charme est rompu. — Il sortit sans me répondre.

Depuis ce moment, Joâo Manoel tomba dans la mélancolie.

— Laissez-moi partir, lui dis-je peu de jours après. J’ai rempli la promesse que je vous avais faite, et je reviendrai vous voir.

— Je ne vous retiens pas, me répondit-il ; la saison des pluies approche, et vous avez loin à aller. Partez donc ; mes vœux vous accompagneront pendant votre voyage.

Je le quittai. Ce n’est pas le moment de vous dire ce que je vis dans mon pèlerinage. Il fut long. Je traversai bien des montagnes, des fleuves sans nom. Je portai mes pas dans des retraites qui long-temps encore resteront ignorées, et j’y fis connaissance avec les merveilles des forêts. Leur souvenir m’a suivi parmi les agitations des hommes ; souvent encore, dans les heures secrètes de la vie, ma pensée traverse les mers et va errer au milieu de ces scènes lointaines : ne les reverrai-je plus ?

Six mois s’étaient écoulés. Je me retrouvai enfin sur la hauteur qui dominait l’habitation de Manoel. Rien n’était changé, et je revis ces lieux comme on revoit un ancien ami. Seulement le soleil de l’été ne brillait plus sur la maison blanche du planteur et sur les cultures qui l’environnaient. Un voile de vapeurs couvrait la nature entière ; les pluies avaient creusé çà et là de petits ravins, et des nuages grisâtres pesaient sur la cime des forêts. Un nègre prit mon cheval, et j’entrai dans la maison. Mon entrevue avec Manoel fut affectueuse : il me revoyait avec plaisir.

Le soir, à l’heure du repas, je ne vis pas la jeune négresse, qui, lors de mon départ, commençait déjà à nous servir. Je m’informai de ce qu’elle était devenue.